la nouvelle aristocratie des hauts dirigeants

Tribune libre

Le Mouvement Desjardins a annoncé dernièrement que sa présidente-directrice générale a touché en 2012 une rémunération de 3,34 millions de dollars. Étonnamment, lors d’un vote consultatif, les délégués des caisses populaires ont estimé que ce salaire était juste dans une proportion de 66%. En tant que membres et sociétaires du Mouvement Desjardins, et en tant que démocrates, nous croyons au contraire que cette rémunération est excessive et qu’elle contrevient aux principes coopératifs ayant présidé à la fondation de Desjardins et ayant assuré son progrès. Nous sommes profondément scandalisés par une telle démesure et nous voulons exprimer publiquement notre désaccord.
Les arguments souvent invoqués pour justifier des salaires aussi astronomiques ne résistent pas à une analyse rigoureuse. Comme l’ont montré les professeurs Malsch, Tremblay et Gendron dans l’édition du 9 janvier 2012 du Devoir, ces justifications s’inspirent toutes d’une logique mythique qui exacerbe le rôle de l’individu dans le succès d’une entreprise au détriment de la contribution, pourtant essentielle, de l’effort collectif.
On prétend que les rémunérations très élevées consenties aux hauts dirigeants sont à la hauteur des lourdes responsabilités qu’ils doivent assumer. C’est prêter bien de l’importance à ces individus dans le fonctionnement général d’une entreprise. Les hauts dirigeants sont entourés de solides équipes de conseillers, de professionnels, d’employés qui les soutiennent sans cesse et dont le travail a beaucoup plus de poids pour la réussite de l’entreprise. En outre, les millions de dollars que disent mériter les hauts dirigeants paraissent vraiment excessifs comparativement à ce que reçoivent les chefs d’État des grands pays occidentaux. Même le président des États-Unis, dont les responsabilités sont infiniment plus lourdes que celles de la P.D.G. de Desjardins, ne gagne que 400000$ par année.
On agite également la peur de ne pas pouvoir attirer les meilleurs candidats si les salaires consentis ne sont pas assez élevés par rapport à la concurrence. Cette vision essentiellement vénale du travail oblitère les valeurs de dévouement et d’abnégation qui devraient inspirer avant tout les personnes qui aspirent à occuper les plus hauts postes de la société et qui ont à cœur de contribuer à son progrès. Elle est d’autant plus inacceptable dans le cas d’une institution coopérative censée promouvoir l’esprit de solidarité et d’équité, sinon d’égalité. Alphonse Desjardins, lui si modeste et si altruiste, ne reconnaîtrait certainement pas l’œuvre qu’il a fondée en prenant connaissance de la rémunération colossale de son successeur. Et qu’on ne tente pas de nous amadouer en prétextant que la P.D.G. du Mouvement Desjardins gagne un salaire correspondant à la médiane des groupes financiers coopératifs et à seulement 30% de la rémunération de ses confrères des grandes banques canadiennes. La démesure, quelle qu’en soit l’origine, est toujours inacceptable et ne saurait servir de référence.
À propos de la prétendue compétence de ces hauts dirigeants érigés en vedettes, il faut toujours garder en mémoire que la grave crise financière de 2008, qui a jeté dans la misère des millions de personnes dans le monde et dont l’Europe peine toujours à se sortir, est due en grande partie à des banquiers irresponsables qui touchaient pourtant des millions en salaires et qui continuent, malgré leurs erreurs et leurs fraudes, à vivre dans le luxe et l’impunité.
L’exemple déplorable de Desjardins montre que le culte de l’individualisme et l’esprit de cupidité caractéristiques du néolibéralisme ont réussi à contaminer les institutions coopératives. Ils se sont aussi infiltrés dans le secteur public. Pensons à la rémunération des recteurs de nos universités qui a gonflé durant la dernière décennie et qu’on a cherché à justifier par les mêmes motifs fallacieux. Tout se passe comme si l’argent primait sur la conscience sociale et le service à la collectivité.
Nos hauts dirigeants ressemblent de plus en plus aux aristocrates de l’Ancien Régime dont les abus ont causé la Révolution française au XVIIIe siècle. Ils amassent les richesses en se croyant supérieurs. Ils forment une caste fermée de privilégiés qui se protègent entre eux et qui déterminent ensemble les conditions du marché de leur rémunération. Ils n’éprouvent aucune gêne à gagner trente, quarante, cinquante, cent fois plus que leurs employés et les citoyens ordinaires. Enfermés dans leur tour d’ivoire, sûrs de leur bon droit, ils restent imperméables à toute critique. Mais, dans leur aveuglement, ils n’entendent pas la clameur publique qui monte de jour en jour. Citoyens, citoyennes, vous qui formez 99% de la population, nous vous enjoignons à exprimer comme nous votre indignation et votre désaccord dans toutes les instances qui vous sont offertes. Seule une pression démocratique soutenue réussira à freiner les abus des hauts dirigeants et à mettre fin aux rémunérations démentielles dont ils profitent actuellement.
Claude Simard, Caisse populaire Desjardins de l’Université Laval
Nicole Roy, Caisse populaire Desjardins du Centre-Ville de Québec
Claude Verreault, Caisse populaire Desjardins du Petit-Pré


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2015

    On est endormi, on s'éveille en lisant des textes comme celui-ci et on ne fait RIEN...
    Quand va-t-on se lever pour réagir? Les médecins, les infirmières, les enseignantes, les pharmaciens, les syndicats et les étudiants ont réagit fortement.

    Nous, le peuple, on ne fait strictement RIEN. On continue de gueuler dans nos cuisines et nos salons.
    On a de quoi être fier, on se fait plumer et on dit merci.
    Gang de lâches...