Harper et Charest

La recette

Ces duos qui servent de faire-valoir sont devenus légions dans l’histoire moderne

Chronique de Louis Lapointe

En voyant la façon cavalière dont Jean Charest a traité Stephen Harper lors de l’annonce d’une participation conjointe Québec-Ottawa au financement de l’usine de bio-carburant de Rivière-du-Loup, la ville qui est devenue le symbole de la résilience de Jean Charest et de la résurrection de Stephen Harper au Québec, j’ai compris à quel point les politiciens étaient prêts à tout pour être réélus.

Alors que Jean Charest a besoin des régions pour que son gouvernement survive, Stephen Harper sait très bien que le vote de la grande région de Québec peut faire la différence entre un gouvernement majoritaire et minoritaire, même s’il préférerait se passer du Québec pour former son prochain gouvernement majoritaire.

Rivière-du-Loup est à la fois représentative du vote des régions à la législature provinciale et du vote de la grande région de Québec au fédéral. Il s’agit d’une zone de convergence où les citoyens votent d’abord dans le sens de leurs intérêts locaux et immédiats, comme on l’a vu lors des deux dernières élections partielles tenues dans cette localité. Que les candidats soient des voyous ou des vedettes, le résultat a été le même, les électeurs ont choisi le parti au pouvoir. Un phénomène qui s’étend maintenant à des régions historiquement nationalistes comme l’Abitibi et le Lac St-Jean.

Les régions votent de plus en plus « utile ». Jean Charest le sait, puisque ce vote lui a permis de devenir majoritaire de justesse lors des dernières élections, alors que le vote de la grande région de Québec a fait la différence entre l'élection d'un gouvernement minoritaire conservateur et un gouvernement libéral à Ottawa en 2007.

Rivière-du-Loup étant tributaire de ces deux phénomènes, il ne fallait certainement pas s’attendre à ce que les chefs changent le style de jeu qui leur a permis d’être élus. Si Jean Charest casse du sucre sur le dos de Stephen Harper uniquement parce que cela peut le rendre plus populaire, ce dernier sait qu’il est préférable de ne rien faire qui pourrait le rendre impopulaire comme ce fut le cas lors des dernières élections provinciales. Sans compter que, paradoxalement, la mésentente entre Jean Charest et Stephen Harper permet à l’un d’être plus populaire au Québec et à l’autre de le demeurer dans le reste du Canada.

Il faudrait donc être idiot pour ne pas avoir compris que, l’autre soir, au téléjournal, les deux protagonistes appliquaient une bonne vieille recette convenue, celle du bon et du méchant.

Jean Charest utilise la protection de l’environnement et la défense des intérêts du Québec pour emmagasiner du capital politique aux dépens de Stephen Harper, alors que ce dernier utilisera probablement le comportement de Jean Charest pour démontrer au reste du Canada l’insatiabilité du Québec et de ses premiers ministres qui en veulent plus, toujours plus, qu’ils soient indépendantistes ou fédéralistes, Jean Charest étant devenu un cas d’école depuis qu’il a utilisé le remboursement du déficit fiscal pour baisser les impôts des plus riches. La preuve la plus récente de l’ingratitude du Québec étant l’attitude de Jean Charest qui profite d’une tribune environnementale pour ostraciser Stephen Harper, bien que ce dernier faisait alors un pas dans la bonne direction.

Ces duos composés de personnages caricaturaux qui se servent mutuellement de faire-valoir sont devenus légions dans l’histoire moderne, que ce soit Laurel et Hardy, ou, au Québec, Olivier Guimond et Denis Drouin dans Cré Basile. Dans un passé plus récent, ce genre a aussi vu naître le duo de Martin Matte et Patrick Huard créé de toutes pièces dans l’unique but de faire la promotion de leurs spectacles respectifs. Une heureuse recette qu’a reprise Patrick Huard dans son très populaire film, "Bon cop, bad cop". Désormais, dans la sphère politique, après celui de Georges W. Bush et Ben Laden, nous devrons vivre avec celui de Stephen Harper et Jean Charest.

Il fallait bien s’y attendre, pour sauver sa peau devant les allégations de corruption et de collusion qui menacent son gouvernement, Jean Charest devait trouver une diversion. Il utilisera au maximum celle du repoussoir que constitue Stephen Harper aux yeux de plusieurs Québécois, alors que ce dernier misera sur l’ingratitude du Québec et de son premier ministre Jean Charest pour se constituer une majorité sans le Québec qui, à cause de la présence du Bloc québécois à Ottawa, freine toutes les réformes que souhaite Stephen Harper : celles du Sénat, de la représentativité des provinces à la Chambre des communes, de la Commission pancanadienne des valeurs mobilières et du durcissement des lois criminelles.

Comme Jean Charest ne propose aucune solution de rechange au fédéralisme improductif, nous devinons tous que, si cette stratégie cousue de fils blancs permettra aux libéraux provinciaux et aux conservateurs d’être réélus, elle nuira forcément au Québec qui sera encore une fois isolé aux termes de ces épisodes de brasse-camarade, comme l’histoire du Canada l’a démontré à maintes occasions.

En faisant le pitre devant les caméras de télévision, à Copenhague ou à Rivière-du-Loup, Jean Charest ne défend pas les intérêts du Québec, il ne souhaite que sauver sa peau. Voilà pourquoi Stephen Harper le laisse faire. Il sait bien qu’il aura le dernier mot une fois devenu majoritaire à Ottawa face à un gouvernement libéral provincial à Québec, fût-il majoritaire. Stephen Harper préfère cent fois avoir devant lui un gouvernement québécois dirigé par Jean Charest plutôt que par Pauline Marois.

Voilà pourquoi il donne l’illusion d’avoir perdu devant Jean Charest à Copenhague et à Rivière-du-Loup. Il attend son heure afin de mieux profiter de toutes les faiblesses de Jean Charest. Il prendra donc bien garde d’achever un adversaire rendu aussi vulnérable par la corruption qui mine le Québec avant la tenue des prochaines élections fédérales. Il continuera de le soutenir par son silence complice, le laissant même crier à l’empiètement fédéral sans jamais répliquer.

Si c’est bon pour Jean Charest, c’est bon pour le Canada. En maintenant un adversaire aussi faible à la tête du Québec, Stephen Harper sait qu’il aura les coudées franches pour toutes ses réformes. La stratégie sera la même face à tout éventuel successeur de Jean Charest à la tête du PLQ.

Une recette qui sera désastreuse pour le Québec, puisque l’histoire récente nous a appris que la défense des intérêts du Québec a toujours été le meilleur cheval de Troie pour l'affaiblir une fois que la menace séparatiste avait échoué. Pourquoi cela changerait-il avec un Jean Charest faussement vindicatif face à Stephen Harper aussi déterminé?

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    16 janvier 2010

    Le duo Harper-Charest forme un couple disfonctionnel, mais ils ont impérativement besoin l'un de l'autre pour assurer leur survie politique. Un peu comme Pôpa et Môman dans la "P'tite vie"... ils sont magnifiques dans leur rôle respectif; le rôle de Pôpa étant naturellement assumé par Harper...
    Une chance que le burlesque canadian ne tue pas...
    Jacques L. (Trois-Rivières)