Avec le jugement concernant la récitation de la prière au Saguenay, nous avons, encore une fois, la démonstration des limites du juridique dans l’affirmation de la séparation du politique et du religieux.
Cet enjeu sociétal d’une très grande importance, compte tenu de la charge émotive qu’il soulève et de la poudrière qu’il entraîne, gagnerait à être pris à bras-le-corps par le politique. La séparation du politique et du religieux mériterait d’être solennellement affirmée par l’État québécois et entérinée comme principe politique et juridique dans la Charte des droits et libertés.
La référence à la laïcité doit être explicite. La laïcité est un levier de l’action publique pour garantir l’égalité et la liberté de conscience dans le vivre-ensemble à travers la neutralité de l’État. La laïcité, c’est la liberté, mais c’est aussi l’égalité, l’égalité entre les citoyennes et les citoyens quelles que soient leur croyance et leur non-croyance.
C’est à l’État que revient la mission de veiller à ce que l’ensemble des citoyennes et citoyens puisse s’exprimer librement et en toute sécurité. C’est lui qui doit faire en sorte qu’aucun groupe, qu’aucune communauté ne puisse imposer à qui que ce soit une appartenance religieuse, en particulier en raison de ses origines. La laïcité est donc à l’avant-garde du combat contre les discriminations.
Une niche confortable
Depuis la Révolution tranquille, le principe de déconfessionnalisation s’est enraciné dans nos institutions. Cependant, nous vivons, depuis quelques années, notamment à travers la reconnaissance des particularismes des minorités religieuses avec les accommodements religieux, une crispation de plus en plus grande. Ceci a ouvert la porte à un retour à un certain catholicisme revendicateur et revanchard. Ce climat de confusion terrible a donné lieu à une surenchère des demandes religieuses entre les uns et les autres, qui dans la plupart des cas indisposent nos concitoyens. Cette muticonfessionalisation de l’espace civique et de nos institutions a semé le doute dans de nombreux esprits sur notre réelle capacité à vivre ensemble dans le respect de chacun. Sortir de cette configuration sociale qui consiste à segmenter et fragmenter la société en fonction d’appartenances ethniques et religieuses est une urgence. Le multiculturalisme et son corollaire la laïcité ouverte aboutissent fatalement à l’effritement du lien social. La solution est ailleurs. Osons le dire !
Avec le jugement de mardi, les intégrismes religieux vont trouver là une niche confortable qui leur permettra, assurément, d’étendre leurs tentacules sur les plus faibles d’entre nous.
J’ai bien peur que nous nous dirigions vers l’exemple de l’Ontario, où cette prolifération des religions s’illustre notamment par un exemple évocateur où les débats à Queen’s Park sont précédés chaque jour par la récitation intégrale de 8 prières !
En effet, depuis 2008, on a décidé de conserver le « Notre Père » et d’y ajouter d’autres prières : autochtone, bouddhiste, hindouiste, musulmane, juive, baha’ie et sikhe. Par comparaison, au Québec, depuis 1976 et sous la gouvernance de René Lévesque, les travaux à l’Assemblée nationale débutent par une minute de silence, c’est-à-dire un moment de recueillement.
Avec le jugement de mardi, je crains qu’aux yeux de quelques-uns de nos concitoyens déboutés par la faiblesse de la puissance publique depuis une dizaine d’années, nous assistions à la naissance d’un héros qui s’est autoproclamé défenseur « des valeurs québécoises ».
Je ne suis pas catholique. Pour autant, j’ai adhéré aux valeurs du Québec qui prennent racine dans notre histoire et se projettent dans l’universel. Suis-je une sous-citoyenne ? J’ai le plus grand respect pour notre patrimoine catholique.
J’en suis même fière et jalouse. Plus encore, je suis émue en foulant le sol de certaines églises, mosquées et synagogues. Néanmoins, lorsqu’il est question de la sphère politique, je suis une laïque qui considère que le religieux ne doit nullement interférer dans la gestion des affaires de la cité.
Lorsque j’ai choisi le Québec comme terre d’asile il y a de cela une quinzaine d’années, je ne rêvais pas d’un pays replié sur lui-même et confiné à une religion.
Je rêvais déjà de liberté et d’égalité.
Aujourd’hui, je rêve toujours de liberté et d’égalité pour l’ensemble de mon peuple, le peuple québécois, auquel j’ai adhéré par amour et ouverture dans le respect de son histoire.
La référence à la laïcité doit être explicite
Je crains d’assister à la naissance d’un héros qui s’autoproclamerait défenseur «des valeurs québécoises»
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