Élections fédérales

La succursale

Chronique de Louis Lapointe

La députation fédérale québécoise a longtemps été une succursale d’Ottawa. Qui ne se souvient pas de l’époque où tous les députés du Québec étaient des libéraux à l’exception de Roch La Salle, à tour de rôle député conservateur et indépendant du comté de Joliette?
Cette foi aveugle en Trudeau avait permis l’adoption de la loi des mesures de guerre en 1970 et l’adoption de la loi constitutionnelle de 1982 sans l’accord du Québec et malgré l’opposition unanime de l’Assemblée nationale.
Mon père qui avait travaillé 15 ans pour la Banque Royale disait des députés libéraux fédéraux qu’ils avaient une mentalité de succursale, un phénomène qu’il avait lui-même intimement connu comme directeur de succursales de la Banque Royale. Tout son travail administratif devait être accompli en anglais. Voilà pourquoi il est devenu gérant de caisse populaire en 1965, puis candidat du Parti québécois en 1970.
L’élection d’une majorité de députés québécois du Bloc en 1993 avait semblé sonner la fin de cette triste période où les Québécois élisaient, tous les quatre ans, des députés qui votaient toujours contre le Québec, peu importe la situation.
Puis, la mentalité de succursale est réapparue en 2007 avec l’élection de députés conservateurs dans la région de Québec. Des députés qui nous ont démontré, à l’image de ceux du PLC, qu’ils ne pouvaient pas, toutes couleurs confondues, parler d’une seule voix pour le Québec au Parlement d’Ottawa, comme cela pouvait survenir occasionnellement à l’Assemblée nationale lorsque les intérêts supérieurs du Québec étaient en jeu.
L’intérêt du Québec n’existe pas pour ceux qui travaillent au Québec dans une succursale d’un parti fédéraliste d'Ottawa. L’intérêt du Canada «from coast to coast» prime toujours lorsqu’il s’agit d’envoyer un poète indépendantiste en prison, d’imposer une constitution de force à un peuple minoritaire, d’adopter contre ce dernier une loi aussi antidémocratique que pouvait l’être la loi sur la clarté et d’envahir le champ de compétence des valeurs mobilières sans que cela sème le moindre émoi au sein de la députation locale de la succursale.
La loyauté de ces députés va d’abord au Canada. Dans de telles circonstances, il ne serait donc pas étonnant que les Caisses populaires deviennent bientôt, elles aussi, des succursales de juridiction fédérale.
Que commandera alors la ligne de parti du PCC, du PLC et du NPD ?
Compte tenu de notre longue expérience passée, la réponse est prévisible, il est dans l’intérêt du Canada d’avoir un système bancaire unitaire pour mieux protéger les épargnants. Au nom de la protection de la classe ouvrière, au même titre qu’il veut s’ingérer dans la santé, l’éducation et les services sociaux qui sont de juridictions provinciales, Jack Layton sera d’accord pour faire des Caisses populaires des objets fédéraux. Ce n’est qu’une question de temps.
Nous étions plusieurs à penser présomptueusement que le syndrome de la succursale était limité aux libéraux du West-Island et à la droite de la région de Québec, mais voilà qu’il apparaît à gauche, en particulier chez les progressistes du Plateau. Là où il est encore plus inquiétant, compte tenu de la propension de la gauche canadienne à vouloir dépenser dans les champs de compétences des provinces.
Au lendemain de la dernière élection provinciale, j’avais naïvement pensé que toutes les forces progressistes du Québec allaient bientôt s’unir sous un même chapeau pour faire avancer la marche de notre peuple vers son indépendance. Qu'Amir Khadir, à gauche, au même titre que François Legault, à droite, était un leader indépendantiste en devenir. C’était mal comprendre la nature de l’homme politique de gauche qui n'est pas très différente de celle de l'homme politique de droite.
Québec solidaire a fait le pari d’appuyer un parti fédéraliste, le NPD. Cela ne sera pas sans conséquence à long terme. Parce qu’il espère un retour d’ascenseur de ses nouveaux amis fédéralistes à la prochaine élection provinciale, il diluera de plus en plus son option indépendantiste qui n’était déjà qu’accessoire. Les forces indépendantistes pourront de moins en moins compter sur Québec Solidaire qui deviendra un parti qui, comme les autres, aura surtout soif de pouvoir.
Voilà pourquoi l’allure que prend la présente campagne électorale m’amène à penser que les Québécois, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne se sont toujours pas affranchis de leur mentalité de succursale.
Bien au contraire, comme ces «gérants de banque», ils n’ont probablement jamais été aussi nombreux à vouloir être parfaitement bilingues pour communiquer sans accent dans la langue des patrons de leur « branch ». De toute façon, pourquoi ces derniers parleraient-ils en français à des gens qui s’entêtent à vouloir leur répondre en anglais. Dans une perspective électorale, il n’est donc pas étonnant que Québec Solidaire refuse d'assujettir les cégeps à la loi 101.
Avec de tels leaders qui gagnent en popularité, à gauche comme à droite, il y a un réel danger que le Québec redevienne, un peu plus chaque jour, la succursale de partis fédéralistes à Ottawa pour qui les intérêts du Québec sont d’abord subordonnés aux intérêts du Canada.
Le déroulement de la présente campagne électorale aura au moins eu le mérite de nous démontrer, qu'à l'image de la droite, la nouvelle gauche québécoise n'éprouvait aucun remords à devenir une succursale d'Ottawa.
***
Sur le même sujet :
La dernière tentation d’Amir

Featured bccab87671e1000c697715fdbec8a3c0

Louis Lapointe534 articles

  • 890 081

L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    29 avril 2011

    J’ai écrit hier un texte expliquant, selon moi (je ne suis pas un « expert »), comment la stratégie politique de S. Harper allait être gagnante et même triomphante lundi, comment libéraux et bloquistes allaient souffrir, en particulier le parti de Wilfrid Laurier.
    En me relisant, je n’en ai pas aimé le ton, qui m’avait l’air admiratif de la stratégie d’Harper, limpide, et accablant pour celle de Gilles Duceppe, brouillonne. Mauvais perdant, je ne l’ai pas fait parvenir à Vigile.
    Les fédéralistes ne se laissent pas distraire par les cotes de popularité et d’impopularité. Ils se sont activés. Ils sont encore en mouvement : leur prochain « step » sera sans doute de régler le problème Jean Charest.
    La cause indépendantiste est la bonne, mais elle affronte plus fort qu’elle au plan de la stratégie politique, comme on le verra lundi soir.
    Bloc en bloc.

  • Archives de Vigile Répondre

    29 avril 2011

    « Il s’en trouvera encore quelques-uns pour faire semblant qu’il n’y a rien de déshonorant à se laisser traiter en minorité ballottée. Il y aura des raisonneurs payés pour tenter de faire croire que la minorisation est une avenue de développement. L’essentiel est pourtant déjà consommé? : il ne leur reste plus à ces Québécois/Canadian qu’à se laisser folkloriser en se repliant sur la survivance et le combat culturel. » (Robert Laplante, Le coin de fer, 9 avril '11)
    On croirait qu’il décrit l’équipe éditoriale du journal «Le Courrier » de Saint-Hyacinthe. On y fait la promotion d’un candidat Conservateur, accompagné par les sénateurs (non élus!) Andrée Champagne et Jacques Demers, mais surtout courtisé par Harper parce qu’il fit carrière avec un gun sur la hanche. Le journal croit leurrer en le montrant futur ministre de l’agriculture... Et le gentil candidat Québécois/Canadian cache sa folklorisation à Ottawa, sa minorité ballottée, dans le fait que son beau nom de Dagenais en fait un porte ballon crédible dans l’autre pays. Rien de déshonorant à se laisser traiter en minorité ordinaire dans un pays multi culturaliste!

  • Archives de Vigile Répondre

    29 avril 2011

    ==Les Québecois doivent comprendre que le fait de voter pour un député fédéraliste de Layton Ignatieff ou Harper c'est automatiquemment voter pour un traître à cause de la ligne de parti
    ==Les députés fédéralistes savent qu'il vont à Ottawa pour trahir la Nation Québecoise et s'ils ne le savent pas ils sont de vulgaires et dangereux imbéciles politiques
    == Seuls les députés du Bloc ne sont pas obligés de voter contre leurs familles leur peuple et leur Nation francophone et contre les lois de l'Assemblée Nationale
    Ne votons pas pour des traîtres
    Votons Bloc
    TÉTRAÈDRE

  • Jean-Pierre Bouchard Répondre

    28 avril 2011

    Projet Montréal Avec Bergeron au municipal, Khadir de Québec Solidaire maintenant le NPD avec Mulclair lieutenant, on dit -lieutenant du Québec pour un parti fédéral-, bref ce triangle d'une gauche sociale ou écologique ou prétendu tel peu importe est déterminé à faire du Québec un second Ontario comme si la condition linguistique et nationale des Québécois n'était pas un obstacle pour une normalisation du Québec dans l'optique droite-gauche.
    Nous nous dirigeons peut être le 2 mai vers un nouvel écrasement collectif qui donnera raison en quelque sorte au démissionnaire Denys Arcand qui a avancé dans les années 80 après son film sur le référendum de 80 qu'au Québec, l'activisme politique est inutile. Que pendant le tournage de son documentaire On est au coton sur l'industrie textile au Québec de cette époque en 1970, la passivité, l'acceptation des travailleurs face à leur condition l'avait déjà interrogé sur la résistance, la faculté de réagir des Québécois face à une réalité pénible. Évidemment, Pierre Falardeau a fait les mêmes constats avec son personnage d'Elvis mais a choisi de continuer le combat avec ses moyens rudimentaires.
    Là toutefois, il y aura un abattement possible pour le camp du pays québécois et la lutte pour le français. Le luxe d'un tel abattement reste douteux face à la régression linguistique du français à Montréal.
    Les Québécois, la jeune génération notamment qui vit dans l'illusion politique se rendront compte rapidement ce qu'il en est de faire confiance au premier venu.
    Un possible gouvernement minoritaire de coalition NPD-lib pourrait si possible faire déchanter bien des Québécois et ce n'est pas peu dire.