À chacun ses contradictions. Un haut fonctionnaire de Service Canada a récemment émis une directive interdisant aux employés du Québec d'installer, dans les aires publiques des bureaux, sapins, guirlandes et autres «cossins» rappelant la Noël. L'ordonnance a été critiquée et retirée.
La chef péquiste Pauline Marois en a profité pour réclamer une charte de la laïcité. «C'est rendu que le niqab, le kirpan et tous les signes religieux sont permis partout par le multiculturalisme canadien, mais Noël ne serait pas permis, a-t-elle dit la semaine dernière. Il y a quand même des limites à l'absurdité.»
Ah oui? L'opposition comme le gouvernement ont encore refusé de retirer le crucifix de l'Assemblée nationale en février, alors que le Tribunal des droits de la personne en exigeait l'ablation pour la Ville de Saguenay. Les élus de Québec estiment que le crucifix fait partie du patrimoine et doit rester en place.
À chacun ses contradictions. Les médias protègent leurs propres traditions irrationnelles ou culturo-spirituelles, comme l'on voudra. L'horoscope fait partie de ce patrimoine acquis. Les niaiseries ésotériques à la Chantal Lacroix aussi. Ou les éditos de Pâques du Devoir.
Faut-il rajouter la messe de minuit que Radio-Canada va encore diffuser en cet an de grâce 2011? Il est facile et nécessaire de soutenir la diffusion de l'excellente émission Second Regard, qui se penche sur le phénomène religieux dans l'histoire et nos sociétés, comme Découverte s'intéresse à la science. Mais le relais de cette cérémonie religieuse à la télévision d'État? Par contraste et par souci de neutralité, CBC offre une belle captation du Messie de Haendel. L'art est un très agréable absolu de substitution.
Pourquoi une messe catholique, d'ailleurs? Pourquoi pas un service protestant dit par une femme évêque lesbienne mariée? Et le reste de l'année, pourquoi pas une prière venant d'une mosquée, d'une synagogue, des raéliens, depuis le temps qu'ils sont dans le décor, ils font bien partie du patrimoine eux aussi, non? On dirait que le Québec vaut bien une messe, même celle-là. Ce compromis, comme les autres accommodements raisonnables d'une presse libre, semble assurer une certaine paix sociale. Appelons ça de la laïcité médiatique ouverte.
On peut en souhaiter une autre, radicalement différente, pour des médias sans religion aucune. Ou tout simplement demander un traitement équitable pour les mécréants, histoire de contre-balancer un peu.
Les athées ne doivent pas être moins nombreux que les pratiquants catholiques, en tout cas. Même si la grande secte des antireligieux vient de perdre un de ses plus formidables prophètes en la personne du journaliste Christopher Hitchens. Il s'est éteint d'un cancer dans un hôpital au Texas. M. Hitchens avait 62 ans et il buvait beaucoup d'alcool ici-bas en sachant qu'il n'y aurait pas six douzaines d'houris pour l'attendre de l'autre bord dans un bar céleste.
Le gentleman britannique établi aux États-Unis était vraiment, mais alors vraiment, très fâché contre dieu (avec un petit «d», hé, on ne se gênera pas). Il se présentait lui-même comme antithéiste, pas seulement en athée ordinaire ne croyant pas les superstitions gavant les masses moutonnières depuis des milliers d'années.
«Je maintiens que l'influence des Églises et les effets de la croyance religieuse sont véritablement néfastes», proclamait-il dans une de ses Lettres à un jeune rebelle (2001). Dans God is not Great (2007), il décrit la religion comme «violente, irrationnelle et inexacte», mais aussi intolérante, raciste, misogyne, homophobe et liberticide. Qui dit pire?
Le zélateur s'activait parfois avec une passion dogmatique digne d'un dominicain. Les vieux Québécois élevés dans le patrimoine catholique le savent: il faut se méfier d'un jésuite par devant, d'un franciscain par derrière et d'un dominicain de tous les côtés.
Les islamistes (ou plutôt le «fascisme islamique», selon sa formule) monopolisaient une bonne partie de son mépris quasi fanatique, depuis la fatwa demandant l'assassinat de l'écrivain Salman Rushdie et les attentats du 11 septembre 2001. Lui, le journaliste de gauche, l'ancien trotskiste, avait d'ailleurs appuyé la guerre en Irak sans se priver de critiquer le gouvernement américain. À chacun ses contradictions...
Mais bon, ce genre de position n'a pas beaucoup de place ici. Christopher Hitchens a quelques émules chroniqueurs au Québec, mais en version diète, sans le talent du pamphlétaire, sans la culture non plus. Dommage. Répétons alors la supplique une dernière fois: pourquoi ne pas faire une place à l'antithéisme radical et extrémiste de talent dans nos médias, si on accepte de diffuser des procédés magiques de transsubstantiation dans la nuit du 24 décembre à la télé d'État? À chacun ses contradictions...
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