Langue française: le combat est-il presque fini?

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Rien à espérer des suprématistes anglo-saxons

Tout en moi veut croire qu'il existe toujours ici la volonté et la force collectives capables d'assurer l'avenir de la langue et de la culture françaises. Au Québec en priorité, mais également en Acadie, dans quelques régions de l'Ontario, et ailleurs au sein d'une diaspora tenace qui s'accroche un peu partout dans l'Ouest canadien et aux États-Unis.

Parfois, cependant, je n'en ai plus la certitude... Peut-être parce que je vis «au front», à Gatineau. Plus qu'ailleurs, là où les rivières Gatineau et Rideau se fondent dans le majestueux Outaouais, le combat linguistique use parce qu'il se vit au quotidien. «Les guerriers sont fatigués», écrivait mon ancien collègue au quotidien Le Droit, Pierre Bergeron. Et ces guerriers vieillissants devront bientôt passer le flambeau à une relève chancelante prise «comme marteau et enclume» entre l'indifférence francophone et l'hostilité anglophone...

Récemment, à Clarence-Rockland (Ontario), en banlieue est d'Ottawa, je prenais un café avec Tina Desabrais, présidente de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) de Prescott-Russell. Celle-ci affirmait, entre autres, que les francophones, majoritaires à 80% à Hawkesbury, peinent parfois à se faire servir en français dans les Walmart et Tim Hortons de l'endroit.

J'ai profité de mon incursion à Clarence-Rockland (municipalité à 65% francophone) pour faire le plein à 96,9 cents le litre... Et au moment de payer, me suis adressé en français au préposé, qui m'a répondu en anglais sans même tenter de comprendre ce que j'avais dit. J'ai poursuivi en français (sans succès) jusqu'à ce que des francophones derrière moi traduisent le tout en anglais...

Pour ces derniers, se faire servir en anglais dans une région à majorité franco-ontarienne paraissait normal... Insister pour obtenir un service en français, ça, c'était irritant...

Même chose le mois dernier, au Québec cette fois, à une boutique du centre commercial Promenades de Gatineau, où j'entendais le gérant reconnaître en anglais à quelques clients qu'il devrait sans doute apprendre le français. Bien non, lui répondent ses interlocuteurs francophones, tout le monde comprend l'anglais ici à Gatineau... Misère...

Le 13 avril, l'ACFO d'Ottawa a invité le public à une assemblée au sujet des services juridiques en français en Ontario. Non, pas pour les revendiquer : ils sont acquis. Le problème, c'est que les francophones ne les utilisent pas. Le message, inquiétant, était le suivant : «Aidez-nous à trouver des façons d'encourager les francophones à demander des services juridiques en français...»

Ce sont là quelques exemples vécus de ce que rapportent les recensements fédéraux quinquennaux : une érosion de l'usage de la langue française, et pas seulement hors-Québec. Mais croyez-vous que les gouvernements ne s'en rendent pas compte? Que M. Harper et ses sbires, comme Mme Wynne à Toronto, ne savent pas décoder la réalité sociodémographique? Surtout dans le contexte d'un gouvernement excessivement anglophile à Québec?

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne, Marie-France Kenny, souhaitait voir au budget fédéral «un sérieux coup de barre» pour freiner l'érosion francophone hors-Québec. «Or», écrit-elle le 22 avril, «la francophonie, la dualité linguistique et les langues officielles n'y sont même pas mentionnées.» La question à poser, c'est pourquoi...

Le lendemain, le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario, Denis Vaillancourt, soulignait qu'aucune somme n'était prévue au budget ontarien pour un projet qui mobilise l'Ontario français depuis deux ans: la création d'une université de langue française. Mais faut-il s'en surprendre? Le mouvement s'est dégonflé. Partis d'un élan dynamique, assis sur une solide analyse de la situation, les promoteurs étudiants avaient accouché d'une mini-demande à court terme d'un campus dans la région de Toronto...

Mme Wynne a bien compris ce qui se passait, sachant que son inaction n'aurait aucune conséquence. Surtout que sa ministre de la Francophonie, Madeleine Meilleur, trouve les francophones bien desservis par l'université bilingue d'Ottawa. Même que le recteur anglophone de l'institution, Allan Rock, a eu le culot d'affirmer que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'université, ayant déjà la leur : l'université d'Ottawa... Ce même recteur hésite à appuyer le bilinguisme officiel pour la ville d'Ottawa et son administration refuse d'installer un drapeau franco-ontarien géant au cœur du campus. Et personne ne lui donne la réplique...

Je relisais l'autre jour des numéros de l'ancienne revue Maintenant, et certains articles plus que quarantenaires auraient pu, je crois, être rédigés en 2015 sans qu'on n'ait trop à en modifier le contenu. Ainsi, ce paragraphe de Lysiane Gagnon de 1974, évoquant la Loi 22 et le sort éventuel du français dans notre coin d'Amérique :

«Irons-nous toujours d'échec en échec? Est-il étonnant (...) que les plus jeunes ne croient plus guère à la possibilité de changements politiques et sociaux, dans un pays dont toute l'histoire a été marquée par une série de défaites tristes et minables et par un sentiment d'impuissance caractérisé? Il se pourrait que dans une cinquantaine d'années... les habitants de ce territoire seront en voie d'assimilation rapide. Ce sera la Louisiane, Sudbury, l'Acadie.»

Pierre Vadeboncoeur, dans son essai La dernière heure et la première (1970), écrivait dans le même esprit :

«Pas besoin d'être prophète ni d'avoir beaucoup d'imagination pour pressentir ce qui arriverait à ce peuple, advenant que les menaces qui nous pressent en vinssent à se réaliser. Un peuple secondaire et mal assimilé devenant minoritaire, dans sa seule grande ville, puis éventuellement dans son État; perdant graduellement sa langue, une langue de plus en plus honteuse et corrompue.»

Enfin, j'offre ce passage d'Omer Latour (Bande de caves, Presses de l'Université d'Ottawa, 1981). Devenu en 1964 seul membre franco-ontarien du FLQ avant de passer le reste de sa vie à enseigner le français aux Anglo-Ontariens, M. Latour réfléchissait sur l'assimilation des siens dans la ville de Cornwall :

«Je n'ai rien inventé. Ce n'était pas nécessaire. Dans les relations anglo-françaises de cette petite ville, la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci, le combat est presque fini. L'assimilation totale apporte enfin le repos et la paix à tous ces gens obscurs qui ont lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts? Je vous demande comment ils ont fait pour résister si longtemps.»

Matière à réflexion.

Je persiste à demeurer optimiste.

Mais certains jours, ce n'est pas facile...


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