Le cardinal Marc Ouellet est présentement à Rome, où il participe au Synode des évêques comme rapporteur général. Dernièrement, des propos très critiques du cardinal Ouellet sur le Québec et la société québécoise ont été publiés en Italie. Le dernier numéro de Vita e Pensiero, la revue de l'Université catholique de Milan, présentait un article du cardinal. Les 2 et 3 octobre derniers, le quotidien Avvenire (d'inspiration catholique) publiait un grand reportage sur le Québec, comportant une longue entrevue avec le cardinal qu'il a accordée, lors d'une rencontre avec l'envoyée à Montréal du journal Marina Corradi, «alors qu'il était en partance pour le Synode».
Des propos virulents contre le nouveau programme
C'est donc maintenant en Italie que le cardinal Ouellet poursuit sa croisade contre le nouveau cours Éthique et de culture religieuse en vigueur dans les écoles du Québec depuis septembre. Voici certaines de ces attaques :
«La réforme impose que la loi soumette les religions au contrôle et aux intérêts de l'État, mettant fin aux libertés religieuses acquises depuis des générations. Cette loi ne sert pas le bien commun et ne pourra pas être imposée sans être perçue comme une violation de la liberté religieuse des citoyens et des citoyennes. Il ne serait pas raisonnable de la conserver telle qu'elle a été promulguée, parce qu'elle instaurerait un légalisme laïciste étroit qui exclut la religion de l'espace public...»
«L'opération de recentrage de la formation éthique et religieuse du citoyen par le biais de ce cours obligatoire réussira-t-elle à préserver un minimum de points de référence pour assurer une vie commune harmonieuse? J'en doute, je suis même sûr du contraire, parce que cette opération est faite au prix de la liberté religieuse des citoyens... Cette loi est quelque chose d'inédit en Occident, elle est une grave violation de la liberté des citoyens canadiens... Aucun pays européen n'a jamais adopté une orientation aussi radicale, qui révolutionne les convictions et la liberté religieuse des citoyens».
Une initiative personnelle
Au Québec, contrairement à l'étranger, on sait que cette croisade menée par le cardinal Ouellet contre le nouveau programme est une initiative personnelle, l'Épiscopat québécois ne s'y étant pas associé. Au Québec, on sait également que, quant à la forme et quant au fond, la position du cardinal diffère de celle rendue publique, le 17 mars 2008, par l'Assemblée des évêques catholiques du Québec qui déclarait, entre autres:
«Nous avons pris acte des décisions gouvernementales concernant la place de la religion à l'école. Dans un esprit de collaboration vigilante, nous avons pris part aux consultations qui ont précédé l'adoption du nouveau programme. Estimant que dans sa version approuvée, il comporte des avantages appréciables en même temps que de sérieuses limites, nous jugeons nécessaire de maintenir une attitude d'ouverture et de prudence... Un changement de cette ampleur constitue un défi considérable. Puissions-nous le relever collectivement dans un esprit de prudence et de responsabilité, en poursuivant le dialogue entre tous les partenaires concernés».
Il est à noter que, dans les publications italiennes, le cardinal Ouellet y est présenté comme archevêque de Québec et primat du Canada. De plus, les propos du cardinal publiés en Italie ne font aucune mention de la position officielle de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec. Il en est pourtant un des membres. Ayant été en poste à Rome pendant six ans, j'ai pu y constater que les propos publics en Italie d'un cardinal-primat sont généralement perçus comme reflétant la pensée de l'épiscopat de son pays. Dans ce cas-ci, c'est donc comme un porte-parole, hautement crédible, de l'épiscopat québécois et canadien que le cardinal sera perçu par les Italiens.
L'archevêque de Québec est bien sûr le chef de l'Église catholique de Québec. Cependant, de par son ordination épiscopale, il assume également, en collégialité épiscopale, la co-responsabilité de l'Église catholique locale (le Québec et le Canada) et, en communion avec l'évêque de Rome, la co-responsabilité de l'Église catholique universelle. Dans ce dossier de la place de la religion dans les écoles du Québec, on peut donc se demander quel sens l'actuel archevêque de Québec donne à la collégialité épiscopale au sein de l'Église catholique du Québec.
Les catholiques québécois critiqués
Les catholiques laïcs québécois ne sont pas épargnés par le cardinal. Voici une critique qu'il leur adresse: «Souvent en politique, les laïcs catholiques n'ont pas été à la hauteur de leur devoir : cette même dernière loi a été approuvée par un gouvernement libéral, au sein duquel il y a aussi des catholiques».
C'est avec une vision subjective, négative et fort discutable que le cardinal Ouellet présente aux Italiens l'évolution de la société québécoise depuis les années soixante.
Voici quelques extraits :
«Ici l'Église catholique vit, depuis un certain temps, une crise profonde. Historiquement au Québec, jusqu'à la fin des années cinquante, tout ou presque (de l'école aux hôpitaux) était dans les mains de l'Église... Tout s'est écroulé à partir des années soixante. Plusieurs facteurs ont joué dans cette métamorphose : l'influence marxiste et l'affirmation de l'étatisme, mais aussi l'impact du Concile Vatican II sur l'Église locale...»
«Le vrai problème du Québec, c'est le vide spirituel créé par une rupture religieuse et culturelle, par la forte perte de mémoire qui conduit à la crise de la famille et de l'éducation, qui laisse les citoyennes et les citoyens désorientés, démotivés, instables et attirés par des valeurs passagères et superficielles. Ce vide spirituel et symbolique mine de l'intérieur la culture du Québec, disperse ses énergies vitales et génère l'insécurité et le manque d'enracinement et de continuité avec les valeurs évangéliques et sacramentelles qui l'ont nourrie dès l'origine.
«Un peuple dont l'identité s'est fortement construite, au fil des siècles, sur la foi catholique ne peut se vider de sa substance, du jour au lendemain, sans de graves conséquences à tous les niveaux. De là le désarroi des jeunes, la chute vertigineuse des mariages, le très faible taux de natalité et le nombre effrayant d'avortements et de suicides...»
Le Nonce apostolique en rajoute
Normalement, les ambassadeurs en poste sont contraints à un devoir de réserve dans leurs déclarations publiques et s'expriment par la voie diplomatique (notes et rencontres). Il est donc surprenant de voir le Nonce apostolique au Canada (l'ambassadeur du Saint-Siège), Son Excellence Mgr Luigi Ventura, déclarer le 2 octobre dernier, dans Avvenire que la loi québécoise sur le Programme d'éthique et de culture religieuse «apparaît contraire aux normes constitutionnelles (canadiennes) et peut-être aussi à la Charte des droits de l'homme, en ce qui concerne la liberté des parents à éduquer». Selon le Nonce, cela amène, dans les faits, à «construire une religion laïque, l'État s'érigeant en organisme d'éducation morale, en maître d'une doctrine qui a comme dogme: personne n'a le monopole de la vérité».
Ces propos publics étonnants du Nonce au Canada sont de nature à susciter les interrogations suivantes : Mgr Ventura s'est-il exprimé en son nom personnel ou au nom du gouvernement qu'il représente, le Saint-Siège? A-t-il informé préalablement le gouvernement du Québec et l'Assemblée des évêques catholiques du Québec de son intention de tenir de tels propos publics? Le gouvernement du Québec a-t-il l'intention de demander des explications au Nonce et envisage-t-il de présenter son point de vue directement aux autorités du Vatican ?
Une perception négative du Québec
De tels propos de la part du cardinal Ouellet et du Nonce apostolique ne peuvent que contribuer à façonner à l'étranger une perception négative du Québec et des Québécois. Voici quelques titres de l'Avvenire: «Québec, le virus du relativisme», «Québec, une société malade de relativisme», «La Révolution tranquille, la reddition des catholiques», «Ouellet : je dis non à l'éthique d'État».
M. Sandro Magister, un journaliste italien spécialiste de l'Église catholique et du Vatican, écrit même que «les lois les plus éloignées de la doctrine de l'Église ont été votées au Québec» et que «la révolution culturelle qui a changé le Québec n'est plus quiet, mais qu'elle s'est fait récemment plus hostile et plus méprisante envers ceux qui lui résistent». À cet égard, M. Magister cite le cardinal Ouellet qui dit : «J'ai eu récemment une preuve de cette aversion quand j'ai écrit aux médias une lettre ouverte où, entre autres, je demandais pardon au nom de l'Église canadienne pour les erreurs que nous avions commises dans le passé. Les réactions à cette lettre ont été très hostiles».
Les propos du cardinal Ouellet publiés en Italie peuvent laisser croire que le Québec prive ses citoyens de la liberté religieuse et qu'il serait maintenant devenu un État quasi totalitaire, anti-catholique et quasi communiste. C'est pourtant dans la ville de Québec, la capitale d'un tel «État totalitaire et anti-catholique» que s'est tenu en juin dernier, dans des espaces publics et cela en toute liberté religieuse, le 49e Congrès eucharistique international. C'est le cardinal Ouellet qui assumait d'ailleurs la présidence du comité organisateur.
Pourquoi alors, lors de son entrevue dans Avvenire, le cardinal-primat a-t-il omis de mentionner les éléments suivants: que la messe de clôture du congrès s'est tenue sur les Plaines d'Abraham, qu'Expo-Cité s'est transformée pour l'occasion en une cité eucharistique, que la procession eucharistique s'est déroulée dans les rues de Québec et que trois millions $ de fonds publics ont été versés pour ce congrès à l'Église catholique de Québec.
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Luciano Dorotea, ex-représentant du gouvernement du Québec à Rome
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