Cinquante ans après son arrêt de mort, signé par le rapport Parent et le gouvernement de Jean Lesage, le collège classique n’est pas tout à fait enterré. Son spectre plane toujours sur la société québécoise. Par « la volonté des hommes » et « le travail du temps », pour reprendre les mots de l’historien Pierre Nora, cet ancien fleuron du système éducatif s’est imposé comme lieu de mémoire et « point de cristallisation de l’héritage collectif ». Travaillant l’inconscient scolaire des Québécois, la référence au cours classique est, en effet, mobilisée dès que vient le temps de réfléchir au rapport que nous entretenons au savoir et à la culture. Pourtant fréquenté par une minorité de garçons et un nombre anecdotique de filles, le collège classique semble l’institution qui incarne au mieux un « ancien temps » de l’éducation et, surtout, l’envers de la doxa pédagogique actuelle, axée sur la démocratisation du savoir, l’expression de soi, la perspective utilitariste de même que la mixité des cultures et des sexes.
Le collège classique s’impose dans l’imaginaire comme ce lieu ayant vu défiler la fine fleur de la société. De P.-J.-O. Chauveau jusqu’à Pauline Marois, presque tous les premiers ministres du Québec y ont fait leurs études. Les travaux des historiens ont beau apporter des nuances qui égratignent l’image d’Épinal, notre réflexe est tenace de penser le collège comme une institution fidèle à la tradition du Ratio Studiorum, conçue à la Renaissance. On s’en souvient aussi comme d’un bastion des valeurs catholiques et des traditions canadiennes-françaises où, selon le mot de Montaigne, l’on formait des têtes bien faites plutôt que des têtes bien pleines.
Changement de cap
Mais depuis l’avènement des polyvalentes et des cégeps, en 1968, le collège classique ne survit que sous forme de traces. Ouvrages commémoratifs et conventums en réaniment, ponctuellement, le folklore : redingotes rigides, coups pendables du pensionnat, concours de rhétorique, retraites de vocation… Quelques oeuvres de fiction en portent aussi la mémoire, comme la pièce et le film Les feluettes.
Là, toutefois, où le collège s’impose avec une étonnante vitalité, c’est au sein du débat pédagogique. Un regard sur la presse écrite francophone et les essais des vingt dernières années fait aisément saillir cette référence. Le thème de la transmission de la culture est particulièrement propice à l’évocation du modèle ; plusieurs auteurs inquiets de l’évolution pédagogique depuis la Révolution tranquille se désolent du secondaire technocratique, calibré sur la moyenne inférieure, présentement offert. Plutôt qu’introduire la nouvelle génération à la culture, on se limiterait à former la main-d’oeuvre. L’essayiste Jean Larose résume fort bien cette sensibilité critique : « Il y a deux générations, pour corriger l’injustice qui réservait le patrimoine classique à l’élite, au lieu d’ouvrir celui-ci à tout le monde, on l’a enlevé à tout le monde [Le Devoir, 14 juin 2013]. » On retrouve l’évocation de l’ancien modèle jusque dans la bouche d’une ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne : « J’ai une certaine nostalgie du cours classique », confessait-elle à L’Actualité en 2009. Bien sûr, les détracteurs d’un tel point de vue y voient, pour leur part, le fait d’« obsédés du paradis perdu », accrochés à un modèle élitiste révolu.
En lien avec la défense de la culture et, en particulier, de la culture nationale, le thème de la langue est aussi propice au rappel du collège classique. L’institution privilégiait, on le sait, l’apprentissage des langues anciennes. « Au Québec, l’enseignement classique avait compris l’importance d’établir des comparaisons systématiques entre le français et les autres langues alors au programme (anglais, latin, grec). C’était, évidemment, avant l’âge d’or de la pédagogie du vécu et de l’oral », déplorait un rapport du Conseil supérieur de la langue française en 1999. Or un tel point de vue pessimiste n’est pas partagé par tous : « Les finissants du cours classique écrivaient peut-être à peu près sans faire de fautes, mais les autres, la majorité, abandonnaient l’école et, souvent, n’écrivaient plus », précisait pour sa part Louis Cornellier (L’Expression, novembre 2007).
Héritage
Que reste-t-il du cours classique ? Qu’il s’agisse de la formation des maîtres, de l’enseignement du français, des droits de scolarité ou du rapport à l’effort, la référence au cours classique demeure encore bien vivante au sein de l’agora. Épouvantail pour les uns, joyau sacrifié sur l’autel de la modernité pour les autres, le collège classique est évoqué pour soutenir divers argumentaires. Si certains le voient comme un contre-modèle, représentant d’un temps moins démocratique et assurément plus sexiste, ce sont les contempteurs du système scolaire actuel et les hérauts d’un nationalisme québécois irrigué de sa source canadienne-française qui ont le plus souvent les mots « humanités » et « collèges classiques » à la bouche. Ce réflexe s’éteindra-t-il avec les derniers diplômés ? Le Québec perdra-t-il un jour définitivement son latin ? Tant que le collège classique demeure dans la mire de tribuns qui n’étaient pas nés au moment où les établissements ont fermé leurs portes, on peut prévoir un bel avenir à sa mémoire. Non, le collège classique n’est pas mort ! Ad multos et faustissimos annos !
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