Le collège Gérald-Godin renie sa raison d’être

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Une insulte à l'initiative de Parizeau


Le journal Le Devoir nous informait le 2 mars 2020 du projet du cégep Gérald-Godin de créer à Vaudreuil-Dorion avec le collège anglophone John-Abbott et le collège Valleyfield, un campus bilingue offrant des DEC dans les deux langues.


C’est oublier que le collège Gérald-Godin a été créé en 1995 par le gouvernement Parizeau non seulement pour offrir aux francophones du « West Island » l’accès aux études collégiales en français à proximité, mais aussi pour endiguer l’anglicisation galopante des non-anglophones par l’accès au seul cégep de la région, John-Abbott. Deux ans plus tard, en 1997, sur proposition du Collège, le gouvernement Bouchard ajoutait une deuxième institution culturelle dans l’Ouest-de-l’Île, la salle Pauline-Julien. Puis en 1998, l’UQAM, à l’invitation du Collège, ouvrait une antenne dans le même secteur. Également en 1998, grâce à la déconfessionnalisation des commissions scolaires par la ministre de l’Éducation, Pauline Marois, advenait la création de la Commission scolaire francophone Marguerite-Bourgeoys, dans le secteur ouest de l’île de Montréal.


En quelques années donc, à la veille du tournant du siècle, l’Ouest-de-l’Île est passé de zéro à quatre grandes institutions de langue française et de culture québécoise, en cet unique milieu minoritaire francophone alors au Québec. L’élan visionnaire donné par le premier ministre Jacques Parizeau et par le collège Gérald-Godin a donc porté des fruits et a répondu à la demande historique de l’Association des francophones de l’Ouest-de-l’Île.


Concernant la région de Vaudreuil-Dorion et le besoin de sa clientèle anglophone minoritaire, elle est déjà bien desservie par le collège John-Abbott situé à Sainte-Anne-de-Bellevue, plus proche de ce secteur que les autres collèges. En ce qui concerne les francophones majoritaires, le collège de Valleyfield a déjà à Vaudreuil-Dorion une antenne et, grâce à une mise en commun avec Gérald-Godin, il serait possible de créer un campus de plus grande envergure dans cette région à majorité francophone (66 % selon le chercheur Frédéric Lacroix), en forte croissance démographique située à l’extrême ouest du Québec, à la frontière de l’Ontario et au coeur du Suroît.


Dans ce contexte, ai-je besoin de dire qu’en lisant l’article du Devoir du 2 mars, je suis presque tombé en bas de ma chaise. Comment le cégep Gérald-Godin, comment sa direction, comment son conseil d’administration, 20 ans après l’ouverture de ses portes, a-t-il pu faire ce virage à 180 degrés pour devenir le porteur et le porte-parole même, semble-t-il, voire le complice, d’un projet qui, dans les faits (les tendances exposées par Lacroix sont si claires), contribuera à accentuer l’anglicisation régionale de la jeunesse, et, à moyen terme, à réduire l’importance de la présence francophone dans cette région limitrophe, déjà exposée à l’influence anglophone.


Et encore plus, le cégep Gérald-Godin risque « d’être le dindon de la farce » dans ce projet. Non seulement, son campus principal à Sainte-Geneviève perdrait une large partie de sa clientèle provenant de Vaudreuil-Dorion, alors que stagnent déjà ses effectifs, mais en plus l’offre de DEC en anglais à Vaudreuil-Dorion, ajoutera l’espace physique manquant à John-Abbott pour accueillir plus d’étudiants non anglophones (allophones et francophones) selon la forte tendance démontrée par Frédéric Lacroix. Le cégep Gérald-Godin participerait ainsi à ce que certains appellent la « westlandisation » du Suroît ! Le collège irait exactement à l’opposé de sa raison d’être ! 


Dans un campus bilingue, la clientèle anglophone serait en croissance continue, comme dans l’île de Montréal, au détriment des francophones.


Et, cela est d’autant plus aberrant de la part du collège Gérald-Godin qu’il y a quelques années, « il s’en est fait passer une petite vite » par le John Abbott College et en subit encore les conséquences. Je connais bien le début de l’histoire pour en avoir été un acteur. Dans la lettre fondatrice du Collège du ministre de l’Éducation Jean Garon, il avait invité le conseil d’administration du Collège à considérer la création d’un nouveau programme technique en relation avec l’importante industrie pharmaceutique de l’Ouest-de-l’Île. Dès 1997, avant même l’ouverture du Collège, la direction en a fait une priorité ainsi que les directions qui s’y sont succédé. Il y a une dizaine d’années, le ministère de l’Éducation autorisait le Collège à offrir le nouveau programme d’études techniques en fabrication pharmaceutique. Un programme à autorisation très limitée vu la dimension relative de l’industrie. Selon la politique historique du ministère de l’Éducation, ce type de programme est limité à un collège, sinon à quelques collèges très distancés pour répondre à des besoins régionaux distincts.


Cette fois, le ministère de l’Éducation s’est permis une brèche à sa politique historique. Que s’est-il passé ? Sans doute, le lobbying du John Abbott College (qui était déjà actif en 1999) a été si puissant, auprès du gouvernement Charest (je crois), que le programme lui a aussi été autorisé. Aujourd’hui, ce programme est moribond à Gérald-Godin et débordant de santé à John-Abbott d’après ce qu’on m’en a dit.


En bref, « win » pour ce dernier, et « perte » pour Gérald-Godin qui avait travaillé pendant une dizaine d’années pour développer ce programme en étroite collaboration avec l’industrie pharmaceutique.


Est-ce qu’un nouveau, « win-perte » se prépare au détriment, cette fois, de deux collèges de langue française dans une nouvelle région, celle-là à majorité francophone (pour combien de temps) ? Tout l’indique !


L’article du Devoir nous apprend que le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur étudie ce projet de campus bilingue des trois collèges. Souhaitons que le ministre consulte aussi le chef du gouvernement du Québec qui connaît on ne peut mieux le contexte du « West Island », lui qui a vu le jour à Sainte-Anne-de-Bellevue, lui qui s’est imposé le voyagement quotidien de dizaines de kilomètres, pendant des années, pour aller étudier dans un cégep de langue française du centre de l’île. Et enfin lui qui s’est réjoui le 6 mars 2000 de la création d’un cégep de langue française dans l’Ouest-de-l’Île en présidant à l’inauguration du collège Gérald-Godin à titre de ministre de l’Éducation.


P.S. Concernant l’« emballement » émouvant de la Fédération des cégeps pour ce projet de campus bilingue, il faut lui accorder que celle-ci est cohérente avec son passé : il y a 25 ans, en 1995, la Fédération s’était opposée à la création d’un cégep de langue française dans le « West Island ».




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