Le débat sacrifié

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On oublie trop facilement ce qu'il ne faut pas oublier. D'une facilité coupable !





Du bout des lèvres, on soulignera demain le 40e anniversaire de l’adoption de la Charte de la langue française par le gouvernement de René Lévesque. Le temps d’une pensée furtive, on constatera le recul du français. Encore une fois. Dès lundi, on aura tout oublié.


Comme des automates, on retournera à nos débats vaseux sur le « voile intégral » porté par quelques rares femmes à Montréal. Nos élus se crêperont à nouveau le chignon sur une « laïcité » qui, depuis 10 ans, a détrôné la défense du français comme élément central de l’« identité » québécoise.


Pauvre Québec, tu méritais tellement mieux. Pauvre loi 101, que reste-t-il du formidable projet de société que tu incarnais tant ? Ton père et ministre en titre, feu le docteur Camille Laurin, t’avait conçue forte et efficace. Visionnaire déterminé, esprit brillant et redoutable stratège, il nous avait légué une loi qui voyait grand et loin.


Son objectif explicite était de « permettre au peuple québécois d’exprimer son identité » en faisant du français la langue « normale et habituelle » de l’État, des lois, du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. « Normale et habituelle », comme l’anglais ailleurs en Amérique.


Ensemble


En 1977, 85 % des enfants d’immigrants choisissaient l’école anglaise. En les obligeant à fréquenter l’école française, aux antipodes de la xénophobie, la loi 101 permettrait enfin aux enfants de toutes origines, y compris les « Canadiens français », d’étudier et de socialiser ensemble.


La charte de Camille Laurin fut toutefois durement malmenée. Affaiblie à répétition par les tribunaux, la loi 101 a perdu de son tonus. Le pire fut cependant la lâcheté des élites politiques québécoises empressées d’obéir aux jugements. À de rares exceptions près, elles ont refusé de prendre des moyens tout à fait légaux et constitutionnels, dont la clause dérogatoire, pour renforcer la loi 101.


En 1996, commandé par le premier ministre Jacques Parizeau, un rapport dont j’étais la directrice allumait déjà des voyants jaunes. Bilinguisme institutionnel. Montée des inscriptions d’allophones dans les cégeps et universités anglophones. Recul du français au travail, dans l’affichage, etc.


Apeurées


Au lieu d’agir, Lucien Bouchard, son successeur, refusa tout renforcement réel de la loi 101. Idem pour les gouvernements libéraux qui l’ont suivi. C’est ainsi que, depuis plusieurs années, dès qu’elles sont au pouvoir, les élites québécoises refusent d’agir pour mieux protéger la langue officielle du seul État francophone d’Amérique. C’est à y perdre son latin.


Et après, on s’étonnera de l’état des choses. Comme des autruches, on refusera de voir que le résultat de cette inaction navrante est un désintérêt croissant des Québécois issus de l’immigration envers le français. Un français devenu une langue utilitaire et non pas pleinement culturelle et rassembleuse.


Le débat linguistique, sacrifié par des élites à courte vue, passe maintenant pour folklorique ou pire. Au cœur de l’identité québécoise, il est pourtant d’une grande modernité et n’empêche en rien d’apprendre d’autres langues ou de s’ouvrir au monde.


En lieu et place, on débattra du « voile intégral » et de « discrimination systémique ».


Pauvre Québec...




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