Le débat sur le pétrole a fait bondir le tourisme à Anticosti

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Tant il est vrai qu'à quelque chose malheur est bon

Le tourisme explose à Anticosti. Depuis 2015, l'île de la Côte-Nord a vu son achalandage touristique bondir de 75%. Un boum non étranger au «tapage médiatique» entourant le débat controversé sur l'exploitation d'hydrocarbures, croit le maire d'Anticosti John Pineault, qui a bien l'intention de profiter de cet élan pour rendre l'île plus accessible.


«On veut voir l'île avant qu'elle soit détruite.» Cette phrase, John Pineault dit l'avoir entendue à plus d'une reprise avant que le premier ministre Philippe Couillard sonne le glas de l'exploitation pétrolière, en juillet. «Pour nous, on sait que tout le tapage médiatique autour d'Anticosti, ç'a fait une grosse, grosse différence», estime-t-il. En 2014, quelque 700 visiteurs ont foulé l'île de près de 200 âmes. Les données de 2017 font état de 1341 visiteurs.


«On parle de 75% d'augmentation entre 2015 et 2017, c'est tout à fait majeur pour nous», ajoute le maire. Les demandes de réservations dans les terrains de camping ont grimpé de 362% de 2016 à 2017. En 10 ans d'exploitation, Anne-Marie Dresdell, du Gîte chez Anne-Marie, n'a jamais vécu une année aussi occupée que 2017. Son gîte pouvant accueillir sept visiteurs a été rempli tout l'été. Du jamais-vu, dit-elle.


L'île d'Anticosti est réputée pour ses séjours de chasse et de pêche, mais aussi pour son tourisme de villégiature. À la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), qui gère le parc national d'Anticosti et la réserve faunique, on s'attend également à ce que 2017 «soit une bonne année», mais les données n'ont pas encore été compilées officiellement.



Un tourisme différent


Ce qui porte le maire à croire que le débat sur l'épineux projet d'exploitation d'hydrocarbures, mené entre autres par Pétrolia, a incité les touristes à visiter l'île, c'est qu'il dit avoir remarqué «un tourisme différent». «Il y a eu un genre de tourisme culturel, assure-t-il. Les gens étaient intéressés à rencontrer les gens de Port-Menier, savoir comment ils vivaient.»


«Au lieu du touriste qui vient simplement faire de la villégiature, c'était beaucoup des gens intéressés [...] Les touristes étaient curieux de connaître l'opinion des gens d'Anticosti. S'ils étaient pour ou contre le projet. Il y a aussi des gens qui passaient au bureau municipal pour nous féliciter pour notre combat», énumère le maire John Pineault.


La municipalité d'Anticosti, appuyée par plusieurs maires de la Minganie, sur la Côte-Nord, et des chefs des communautés innues, s'est opposée publiquement aux visées de la société Hydrocarbures Anticosti, détenue notamment par Ressources Québec à 35%. En juillet, Québec a mis fin au projet en dédommageant ses partenaires.


Candidate pour l'UNESCO


L'île d'Anticosti a aussi fait couler l'encre en recevant l'appui de Québec pour son inscription à la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Anticosti a répondu à l'invitation d'Ottawa qui, dans la foulée du 150e anniversaire du Canada, a incité les collectivités canadiennes à proposer les «endroits les plus exceptionnels» du pays.


L'initiative d'Anticosti a aussi été soutenue par plus de 25 000 signataires d'une pétition en faveur de sa candidature. «[Avec la fin du projet d'exploitation pétrolière], là c'est sûr que c'est l'UNESCO qui intéresse les touristes. Les gens viennent nous encourager, ils veulent savoir ce qu'il y a à faire, à voir», ajoute le maire Pineault.


L'intérêt médiatique soutenu en raison du projet pétrolier et la candidature de l'UNESCO ont «remis Anticosti sur la carte», assure-t-il. «On dirait que tout à coup, les gens s'étaient rendu compte qu'il y avait une grosse, grosse île au Québec et qu'ils pouvaient s'y rendre.»


Profiter de l'élan


Chose certaine, Anticosti espère profiter de cette recrudescence touristique pour convaincre le gouvernement d'investir dans ses infrastructures et pour rendre l'île plus accessible. Pour l'heure, pour s'y rendre, il faut prendre l'avion ou monter à bord du Bella-Desgagnés, dont l'horaire n'est pas flexible. Anticosti caresse un projet de traversier pour désenclaver l'île.


En août, le premier ministre Philippe Couillard a annoncé que son gouvernement mènera une étude pour évaluer les différents scénarios d'un lien maritime entre Anticosti et les rives nord et sud. «Si les gens pouvaient partir de la Gaspésie pour se rendre sur la Côte-Nord, tout le monde serait gagnant. Nous, notre développement, il passe par le désenclavement», soutient M. Pineault.


Anticosti planche aussi sur un projet de sentier pédestre de 565 kilomètres encerclant l'île et qui pourrait attirer une autre clientèle touristique. La municipalité réclame enfin la création d'un «fonds de développement de la communauté» pour améliorer ses infrastructures. Anticosti fait l'objet d'un avis d'ébullition permanent pour la consommation d'eau potable.


Pas un phénomène unique


Il n'est pas rare que la médiatisation d'un évènement ou d'un endroit ait un effet sur le tourisme, selon Pascale Marcotte, professeure au département de géographie de l'Université Laval et chercheuse à la Chaire de recherche en partenariat sur l'attractivité et l'innovation en tourisme. Les exemples ne manquent d'ailleurs pas au Québec, dit-elle.


Que l'on pense à l'écrasement d'un avion ayant causé la mort de sept personnes, dont le commentateur Jean Lapierre, aux Îles-de-la-Madeleine, au déluge du Saguenay ou même au tournage du film La grande séduction à Harrington Harbour, sur la Basse-Côte-Nord, tous ces évènements ont attiré leur lot de curieux. «Ça nous touche, on se sent concernés autant dans la beauté que dans le drame», estime-t-elle.


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