Le défi de la diversité

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



Comment gérer la fin des sociétés monolithiques et l'évolution vers des sociétés culturellement de plus en plus diversifiées?
Le problème se pose presque partout. Chaque société est amenée à rechercher, avec plus ou moins de succès, le point d'équilibre entre ce qu'elle estime être le degré de cohésion nécessaire à sa survie et le degré de tolérance nécessaire à l'expression de sa diversité.
À ce chapitre, tout le monde a des raisons d'être modeste. En effet, il n'existe nulle part un modèle d'intégration parfaitement réussi et même s'il existait, ce modèle serait d'une utilité limitée car rien ne s'exporte plus mal qu'un modèle d'intégration, tant il est vrai que chaque société fait, et doit faire, des choix qui lui sont propres.
La France, par exemple, reste très attachée à son modèle d'intégration fondé sur la négation des particularismes et sur l'adhésion aux valeurs républicaines, modèle qui pendant des années a plutôt bien fonctionné. Il ne s'est toutefois pas avéré apte à gérer, dans les années 60, le problème des travailleurs immigrés, ni aujourd'hui celui de leurs descendants.
Si en principe on intègre toujours beaucoup (au point de refuser d'établir des statistiques qui tiennent compte de l'origine ethnique, ce qui permettrait pourtant de mesurer la nature et l'ampleur du problème), dans les faits on exclut aussi beaucoup.
C'est d'ailleurs ce décalage entre le discours et la réalité, entre les principes de liberté, d'égalité et de fraternité et la discrimination vécue au quotidien, qui est le plus mal supporté par les Français issus de l'immigration. Le film Indigènes qu'on peut maintenant voir sur nos écrans, montre bien que ce décalage n'est pas nouveau. En Allemagne, on a mis 50 ans à reconnaître la réalité de l'immigration. Pendant des décennies, on a maintenu la fiction que les travailleurs turcs allaient rentrer chez eux.
Aujourd'hui, avec 4 millions de Turcs, le plus gros contingent de réfugiés de l'ex-Yougoslavie et des pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs, l'Allemagne a finalement pris acte du fait qu'elle était devenue un pays d'immigration. La toute première loi en la matière a été votée en 2005.
En Allemagne, comme en France et comme dans la plupart des pays européens, à l'exception du Royaume-Uni, l'objectif recherché est celui de l'assimilation mais le système ne fonctionne pas. Les immigrés sont plutôt marginalisés et ils deviennent facilement des boucs-émissaires. Comme quoi il ne suffit pas de proclamer que c'est aux étrangers et non à la société de s'adapter, pour que cela se produise.
Contrairement à une idée reçue, les Européens ne nous envient pas pour autant notre multiculturalisme perçu comme une dangereuse exaltation de la différence. Ce qu'ils nous envient, toutefois, c'est la façon dont on choisit nos immigrants et la façon dont ceux-ci s'intègrent à notre société.
Cette meilleure intégration s'explique. Nous avons des atouts que les Européens n'ont pas : l'espace et le fait que nous avons tous, à un moment ou à un autre de l'histoire de nos familles, été des immigrants (sauf bien sûr les membres des Premières Nations).
Nous avons aussi un accès beaucoup plus facile à la citoyenneté, accès quasi automatique après quelques années de résidence. Nous avons enfin l'avantage d'avoir une population qui, très majoritairement (à 76 %), a une opinion favorable de l'immigration.
Notre système pour autant n'est pas parfait et le débat actuel autour des accommodements raisonnables est tout a fait légitime. Il nous faut trouver une façon de mieux gérer les problèmes spécifiques qui se posent.
Il faut surtout donner à ceux qui sont appelés à répondre aux revendications des uns et des autres, des outils efficaces qui les aident à prendre leurs décisions. C'est ce qu'on peut espérer de la Commission Bouchard-Taylor.
Il faut cependant savoir garder raison. Rien dans la situation actuelle ne justifie des remises en causes fondamentales et personne ne sera servi par des discours excessifs qui ne font que nourrir d'autres discours excessifs. Il y a dans notre système plus de choses à protéger qu'à corriger.
Il faut peut-être avoir beaucoup vécu ailleurs pour mesurer toute la valeur de ce que nous avons construit ici : une société ouverte qui sait intégrer les gens venus d'autres horizons, un bien qu'il nous faut absolument préserver.
L'intégration n'exige pas la négation de soi. Pour être des nôtres, ceux qui nous rejoignent n'ont pas à cesser d'être ce qu'ils sont. Ils doivent par contre être prêts, comme nous, aux compromis nécessaires pour que vivre ensemble soit et reste notre projet commun.
Marie Bernard-Meunier
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM.
(m.bernard-meunier@cerium.ca)

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