Paris - «On a raté une belle occasion!», dit Adrian Van den Hoven, porte-parole à Bruxelles de Business Europe, qui regroupe 39 fédérations d'entreprises et d'employeurs dans 33 pays européens. Chaud partisan d'un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, il se dit déçu que les négociations ne puissent être lancées comme prévu ce matin à la citadelle de Québec lors du sommet qui réunira le président de l'Union européenne, Nicolas Sarkozy, le premier ministre canadien, Stephen Harper, et le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso.
Car c'est bien ce qui était encore prévu il n'y a pas si longtemps. Qualifiée de simple «entretien» dans l'agenda du président Sarkozy, la rencontre se contentera d'une simple déclaration de principe, a confirmé au Devoir Amadeu Altafaj, porte-parole du président de la Commission européenne. Ces négociations ne commenceront pas avant des mois, a-t-il ajouté, puisque la Commission doit obtenir un mandat de chacun des 27 pays membres de l'Union avant de se lancer dans l'aventure. C'est ce que reconnaissait aussi mercredi dernier le ministre québécois du Développement économique, Raymond Bachand, devant un regroupement de chambres de commerce canado-européennes.
«Sarkozy et Harper vont signer quelque chose de flou qui n'engage à rien, dit Van den Hoven. Nous espérions une entente précise qui engage les parties à libéraliser les échanges et à arriver à des coopérations renforcées dans les domaines de l'énergie et des transports.» Depuis que le premier ministre Jean Charest s'en est fait l'avocat, au retour de Davos en janvier 2007, le projet a traversé des hauts et des bas. «Je pensais que nous allions vers un accord ambitieux. Mais les élections [canadiennes] sont venues gâcher la fête.»
L'an dernier, l'Union européenne et le Canada s'étaient engagés à réaliser une étude sur les avantages d'un tel accord. L'étude, qui pourrait être rendue publique demain, proposait l'ouverture de négociations. «Mais les élections fédérales ont limité la capacité du gouvernement canadien de s'engager», dit Van den Hoven. Et pour cause. Contacté le mois dernier, l'ancien ministre du Commerce extérieur Maxime Bernier était même convaincu qu'à cause de la campagne le sommet serait tout simplement annulé. Il aura finalement été sauvé par la peau des dents.
Van den Hoven suppose que le gouvernement fédéral n'a pas voulu soulever ce dossier en pleine campagne électorale. Car la Commission européenne exige comme condition sine qua non à l'ouverture des négociations que toutes les provinces canadiennes ouvrent leurs marchés publics, pourtant exclus de l'ALENA. En d'autres mots, que les géants européens du transport ou de l'industrie puissent concourir sur les marchés publics du Nouveau-Brunswick ou du Manitoba, exactement comme Bombardier le fait déjà sur les marchés français ou allemand. «Le gouvernement fédéral a probablement voulu calmer le jeu», dit Van den Hoven.
Les experts du dossier à Bruxelles craignent que, si les délais s'étirent, le projet ne puisse plus bénéficier du soutien précieux de Nicolas Sarkozy, dont la présidence à la tête de l'Union européenne prendra fin le 31 décembre prochain. C'est ce que craignait déjà le mois dernier l'ancien ministre Michael Fortier, qui nous avait confié qu'il fallait faire vite pour que «le Canada puisse bénéficier d'une chimie particulière entre le Canada et la France».
Le départ du commissaire européen Peter Mandelson, qui vient d'être nommé ministre du Commerce du Royaume-Uni, pourrait aussi tout remettre en question. Mandelson était un chaud partisan de cet accord, même si ses fonctionnaires, ceux de la Commission européenne, y ont toujours été opposés. Son remplaçant ne sera pas nommé avant le 22 octobre.
«Les négociations seront difficiles et rien ne garantit qu'elles seront couronnées de succès, dit Van den Hoven. C'est dommage car il y avait une occasion en or avec la présidence française.» Dans un an, après six mois de présidence tchèque, l'Union européenne sera présidée par la Suède. Le porte-parole de Business Europe croit tout de même que les négociations ont des chances de réussir. Selon lui, les économies européenne et canadienne sont complémentaires dans certains domaines. «Il y a moyen de trouver un arrangement, mais il faudra une volonté politique.»
Le risque, dit-il, c'est qu'on arrive à un accord avec autant d'exceptions que de trous dans un morceau de gruyère. Après le sommet d'aujourd'hui, le gouvernement canadien devra absolument recueillir l'assentiment des provinces, dit Van den Hoven. «C'est un constat objectif, ajoute le porte-parole du président Barroso, Amadeu Altafaj. Beaucoup de domaines concernent les provinces, comme les marchés publics, les services, la recherche et le développement. Il n'y a pas de moyen de négocier sans associer les provinces.» Une fois le projet d'accord sur la table, s'il aboutit un jour, il devra ensuite être entériné par les 27 pays membres de l'Union européenne.
Et quels pourraient être les effets de la crise financière, sans compter une éventuelle récession? «Personne n'en sait rien, dit Van den Hoven. Certains craignent tout de même un retour au protectionnisme.»
Le milieu des affaires européen est déçu
Libre-échange Canada-Europe : «Sarkozy et Harper vont signer quelque chose de flou qui n'engage à rien»
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