Le «mystère de Québec» en voie d'être résolu

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Élections fédérales du 14 octobre 2008



(Québec) Le 23 janvier 2006, le Parti conservateur a fait élire sept députés dans la région de la capitale provinciale. On avait alors parlé de «petite vague bleue». On avait surtout évoqué le fameux «mystère de Québec». Mais alors que l'on se rapproche de plus en plus du jour du scrutin, rien ne laisse présager que le même phénomène va se répéter. Portrait d'une région convoitée.
Dans la fébrilité du moment, cela a échappé à bien du monde. Le jour même du déclenchement des élections, le premier ministre Stephen Harper et les candidats de la région de Québec avaient attiré au plus 200 personnes dans un hôtel du centre-ville. En plein dimanche après-midi, on avait réuni surtout des personnes âgées, les familles des candidats et quelques disciples conservateurs de l'époque Mulroney.

En 2006, c'est pourtant dans cette région que Stephen Harper avait fait sa percée au Québec. Deux mois plus tôt, en décembre 2005, il était venu faire un discours important où il s'était engagé à offrir un fédéralisme beaucoup plus décentralisé. Tout de suite, Jean Charest avait multiplié les entrevues pour saluer les engagements conservateurs envers le Québec. Mario Dumont avait fait de même. Deux mois plus tard, aux élections, les conservateurs ont récolté dans la grande région de Québec et de la Beauce neuf de leurs 10 circonscriptions québécoises (une autre devait s'ajouter au Saguenay à l'occasion d'une partielle). Cette même région allait élire, un an plus tard, autant d'adéquistes. Tout le monde s'interrogeait sur le «mystère Québec», «l'énigme» du penchant conservateur ou adéquiste de cette région.
«Le mystère Québec pourrait bien s'estomper avec ces élections», a soutenu cette semaine le coloré maire de Québec, Régis Labeaume, dans un entretien avec La Presse. «Les gens de Québec, il ne faut jamais les tenir pour acquis. On n'est pas à droite, on veut rester libres d'appuyer qui on veut», a poursuivi Labeaume. Plus souvent qu'à son tour, le maire, toujours très populaire un an après son élection, s'est frotté aux conservateurs Josée Verner et Jean-Pierre Blackburn, qui n'ont pas répondu à ses demandes d'aide financière pour la ville.
M. Labeaume - longtemps associé au PQ - a rencontré Gilles Duceppe à l'hôtel de ville en début de campagne. Stéphane Dion a suivi peu après. En fin de semaine, Stephen Harper doit participer à un rassemblement conservateur à Québec, mais personne de son entourage n'avait fait signe au maire, hier.
Jean Charest et les libéraux provinciaux n'ont pas apporté aux conservateurs le même appui qu'il y a deux ans, loin de là. Comme s'il avait les yeux fixés sur sa propre réélection, Jean Charest a pris ses distances avec son ancien parti et s'est positionné comme un défenseur des intérêts du Québec plus déterminé que Mario Dumont et Pauline Marois.
Un fond conservateur
Depuis quelques années, la région de Québec était devenue un château fort de l'Action démocratique. Bien des conseillers québécois de Stephen Harper viennent de la garde rapprochée de Mario Dumont, et ils ont poussé les conservateurs à adopter la même cible, conscients de la proximité des électeurs adéquistes et conservateurs. Mais depuis plus d'un an, l'ADQ est en clair recul dans ce bastion de Québec. Les attaques de Jean Charest sur le déséquilibre fiscal, les coupes dans les programmes culturels et le développement régional ont résonné dans toute la région.
Après le lancement hautement symbolique de leur campagne à Québec, le ciel n'a fait que s'assombrir pour les conservateurs de la région. En fin de course, les sondages convergent: trois ou quatre élus «bleus» de 2006 sont en péril et risquent de voir leur siège repasser au Bloc québécois.
Le politologue Réjean Pelletier, de l'Université Laval, explique: «À Québec, les candidats conservateurs ont été totalement absents. La ministre de la région, Josée Verner, était très faible. Finalement, les électeurs se sont dit que ces gens-là ne sont pas dignes de confiance.»
«Il y a tout de même un fond conservateur dans la région, mais il a ses limites. En 2006, les gens avaient aussi exprimé une volonté de changement, ce n'était pas seulement le conservatisme qui jouait», observe l'universitaire. Il avoue être surpris de la tendance: «Au début de la campagne, je croyais que le succès des fêtes du 400e anniversaire de la ville allait aider les conservateurs.»
Avis de recherche
Cette absence des candidats de Stephen Harper a handicapé toute la campagne conservatrice. Dans Beauport-Limoilou, la candidate bloquiste Éléonore Mainguy a fait mouche lorsqu'elle a demandé un «avis de recherche» et proposé qu'on mette sur les cartons de lait la photo de son adversaire conservatrice, Sylvie Boucher.
Analyste pour Radio-Canada à Québec, Lyne-Sylvie Perron, du cabinet de relations publiques National, observe que la recette qu'avaient adoptée les conservateurs en 2006 ne pourra fonctionner cette fois.
«Il y a deux ans, les conservateurs pouvaient gérer d'Ottawa toute la campagne, il n'y avait que des candidats inconnus. Un message, une stratégie aussi centralisés ne peuvent plus fonctionner quand on a des ministres et des députés qui doivent prendre position sur des enjeux locaux», observe Mme Perron, ex-chef de cabinet de Bernard Landry et d'André Boisclair. «L'absence des candidats conservateurs a été néfaste, et cela a été pire quand ils sont sortis en panique cette semaine», note Mme Perron.
La mine lugubre, sans annonce à faire, les candidats de la région de Québec se sont en effet regroupés pour donner une conférence de presse en cette dernière semaine de campagne. «On ne sent pas la soupe chaude», a martelé la ministre Verner tandis que, dehors, des manifestants environnementalistes se faisaient entendre bruyamment.
Semaine éprouvante pour Josée Verner
La fin de semaine dernière a été éprouvante pour Mme Verner. Elle s'est fait huer, samedi soir, après un discours très partisan, une intervention mal évaluée devant 3000 personnes réunies pour le bicentenaire de la chambre de commerce. En guerre contre la ministre de la Culture du Québec, Christine Saint-Pierre, Mme Verner a fini la campagne en croisant le fer avec le maire Labeaume, qui avait avoué familièrement, en entrevue avec Marie-France Bazzo: «Je m'entends bien avec Mme Verner, mais il y a des fois où je la battrais.»
En début de campagne, pourtant, tout semblait bien fonctionner pour les conservateurs. Dans la salle du Centre Durocher pour son investiture, la seule bloquiste à avoir survécu à la vague bleue de 2006, Christiane Gagnon, avait réuni environ 200 fidèles. Plusieurs étaient inquiets quant à ses chances. Mme Gagnon n'a pas toujours fait l'unanimité au Bloc - dans la région, bien des militants critiquaient son leadership, trop distant des enjeux locaux. En 1993, à la surprise générale, portée par la vague de Lucien Bouchard, Mme Gagnon l'avait emporté devant des adversaires coriaces, le ministre conservateur Gilles Loiselle et l'ancien maire de Québec, Jean Pelletier.
Une autre chose a échappé à bien des observateurs. Même s'il avait le vent dans les voiles, qu'il était au pouvoir et en montée dans les sondages, même dans ce terreau fertile, Stephen Harper n'a pu trouver un candidat prestigieux pour la circonscription de Québec, le centre nerveux de la région. La candidate est une jeune attachée politique, Myriam Taschereau, petite-fille de l'ancien premier ministre libéral. Jolie, elle est vite devenue la coqueluche de certains chroniqueurs. L'effet s'est dissipé avec ses premières déclarations. Au sujet des coupes dans les programmes culturels, elle a laissé échapper que les artistes sont «gâtés des deux côtés», par Ottawa comme par Québec. Elle a passé le reste de la campagne à soutenir qu'elle avait été citée hors contexte. À l'approche du fil d'arrivée, personne ne doute plus de la réélection de Christiane Gagnon.
Absence de plateforme
Les sondages donnent aussi perdant le député conservateur de Louis-Hébert, Luc Harvey, qui l'avait emporté par seulement 231 voix sur le Bloc il y a deux ans. Passablement arrogant, il est sorti affaibli cette semaine d'un débat avec son adversaire bloquiste Pascal-Pierre Paillé. Dans Charlesbourg, le conservateur Daniel Petit s'est aussi démarqué en soutenant que les déclarations du Bloc québécois étaient à la source des émeutes de Montréal-Nord.
Du côté libéral, peu de candidats remarquables. Dès le début de la campagne, un ancien animateur de radio, Simon Bédard, s'est fait congédier par Stéphane Dion pour des propos tenus en ondes pendant la crise autochtone de 1990. Il avait suggéré d'exterminer les mutins: «Allons-y avec l'armée et nettoyons ça une fois pour toutes.» M. Bédard n'avait pas changé d'avis en septembre dernier.
Dans Louis-Hébert, les libéraux avaient trouvé un candidat réputé en Jean Beaupré, ancien président de la chambre de commerce, du Carnaval et de Centraide. Mais les sondages ne lui donnaient aucun espoir. À Québec, des ténors libéraux prévisibles, Dennis Dawson, devenu sénateur, et Hélène Scherrer, ministre sous Paul Martin, ne sont pas montés aux barricades pour Stéphane Dion.
«Les conservateurs n'avaient pas de plateforme, n'avaient rien à offrir à Québec. C'est comme ouvrir un restaurant sans menu et se surprendre de son insuccès», observe Dominic Maurais, coanimateur de l'émission du matin à CHOI, la station populaire auprès des jeunes de la région.
«Ils ont même été incapables d'exprimer clairement qu'on allait rebâtir le Manège militaire après l'incendie. Ils sont restés dans le flou artistique d'une consultation à venir», a poursuivi M. Maurais. La station, toujours proche de l'électorat adéquiste, n'a guère ouvert ses micros aux candidats conservateurs. «Il y a beaucoup de choses dont on n'a pas parlé. Il n'y avait pas d'idées. C'est une campagne très décevante», conclut Maurais.
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Photo: Jean-François Bergeron, Archives AP


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