Pendant des semaines, le premier ministre Charest a justifié son refus de négocier avec les syndicats en disant qu’il ne fallait pas plier devant la violence. Après le coup de matraque qu’on vient de leur asséner, comment les associations étudiantes pourraient-elles maintenant s’asseoir avec le gouvernement ?
À partir du moment où les cours étaient suspendus jusqu’à la mi-août, quelle était l’urgence de légiférer pour assurer le droit à l’enseignement des étudiants qui voulaient retourner en classe ? Cette pause laissait tout le temps voulu pour explorer l’ouverture faite par la FECQ, qui semblait disposée à de réels compromis. Pour éviter que les négociations s’éternisent, le gouvernement aurait pu fixer une date limite aux négociations en brandissant la menace d’une loi spéciale.
Loin de mettre fin à la crise, la loi spéciale assure qu’elle durera jusqu’aux prochaines élections, permettant alors à M. Charest de poser en champion de la loi et l’ordre. Il est tout à l’honneur de Line Beauchamp d’avoir renoncé à son rôle dans ce sinistre feuilleton. Michelle Courchesne n’a pas eu ce scrupule.
On savait depuis longtemps que Jean Charest faisait peu de cas des règles d’éthique publique les plus élémentaires, mais on ignorait qu’il éprouvait la même indifférence à l’égard des droits garantis par les chartes.
Ceux qui se méfient de la rhétorique apocalyptique des centrales syndicales ne pourront qu’être troublés par les propos du bâtonnier du Québec, qui craint que cette atteinte aux libertés fondamentales ne laisse des « cicatrices durables dans le tissu démocratique du Québec ».
Même le Conseil du patronat n’a pu cacher un certain inconfort, expliquant qu’il ne lui appartient pas de « mesurer l’adéquation des moyens législatifs proposés ». Il a également souligné que la loi ne prévoit pas « le cadre d’un dialogue constructif pour obtenir une sortie de crise au bénéfice de l’ensemble de la société ». Il faut croire que ce n’était pas le but. Depuis le début, M. Charest s’est comporté comme un pyromane qui crie au feu.
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Le droit à la libre expression par la manifestation n’est pas seulement un précieux acquis des sociétés démocratiques. C’est aussi un exutoire au mécontentement de la population. Si on limite cet exutoire, la grogne trouvera à s’exprimer autrement.
Inévitablement, les règles très strictes qui sont prévues pour encadrer les manifestations seront transgressées. Le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, a clairement laissé entendre que son association pourrait recommander la désobéissance civile à ses membres.
Amir Khadir a indiqué que Québec solidaire pourrait envisager une désobéissance civile pacifique à la Gandhi, mais la loi ne tient pas compte de ce genre de nuance. L’intervention des forces policières pour en faire respecter la lettre comporterait un sérieux danger d’escalade.
D’ailleurs, que doit-on considérer comme une incitation à la désobéissance civile ? Hier, à l’Assemblée nationale, le leader parlementaire de l’opposition, Stéphane Bédard, a demandé à la ministre de l’Éducation si le port du carré rouge pouvait être considéré comme tel. Mme Courchesne a préféré ne pas se prononcer.
Les juristes du gouvernement qui ont rédigé la loi savaient très bien que sa constitutionnalité serait contestable, mais ils savent aussi qu’il faudra des années avant que la question soit tranchée, si la Cour suprême était éventuellement appelée à se prononcer.
À ce moment-là, la loi ne sera plus en vigueur depuis longtemps. De la part d’un gouvernement qui s’est érigé en défenseur de l’État de droit face à l’anarchie étudiante, cette désinvolture quant aux libertés fondamentales ne manque pas de cynisme.
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Selon le président de la CSQ, Réjean Parent, le gouvernement a voulu s’assurer que ses assemblées électorales ne seront pas perturbées par des manifestations. Il est vrai qu’en principe, ceux qui voudront protester contre le Plan Nord ou encore l’exploitation des gaz de schiste sur le passage du premier ministre devront maintenant informer la police de leurs intentions huit heures à l’avance.
La prochaine campagne pourrait bien être la plus mouvementée depuis longtemps. Le conflit a provoqué au sein de la population une polarisation qu’on n’avait pas vue depuis le référendum de 1995. Le débat sur la hausse des droits de scolarité, qui s’est transformé progressivement en affrontement entre « lucides » et « solidaires », donne maintenant lieu à un combat pour la défense des droits et libertés.
Dès le départ, M. Charest a misé sur la crainte du désordre qui s’est répandue à l’extérieur de la région de Montréal, où bon nombre d’électeurs estiment qu’il est grand temps de mettre au pas ces fauteurs de troubles, qui ont transformé la métropole en un véritable coupe-gorge où il devient de plus en plus risqué de s’aventurer.
Il devra cependant partager ce rôle avec François Legault, auquel le conflit étudiant a redonné une visibilité qui lui avait cruellement manqué au début de l’année. Quant à Pauline Marois, qui a appelé au respect de la loi, elle doit espérer qu’Amir Khadir profitera des prochaines semaines pour verser dans ses excès habituels.
Le pyromane
Depuis le début, M. Charest s’est comporté comme un pyromane qui crie au feu.
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