Le Québec enseveli sous la droite

La déconfiture électorale du Parti québécois s’explique aussi par ses propres turpitudes.

PQ - leadership en jeu - la tourmente


On peut interpréter le vote du 26 mars comme une amorce de réalignement partisan qui frappe périodiquement le Québec. Comme à chaque fois que ce phénomène se produit, le parti en émergence fait appel au changement nécessaire pour se débarrasser des vieux partis et compte sur la frustration et l’insatisfaction des électeurs pour attirer leur soutien. Cette logique simpliste a porté fruit puisque les appels au vote utile pour empêcher l’affaiblissement du Québec lancés par le Parti libéral et l’horizon de la souveraineté proposé par le Parti québécois n’ont pas réussi à endiguer la vague adéquiste.
Cette victoire du parti de Mario Dumont exprime bel et bien un changement de paradigme idéologique pour des segments importants de l’électorat québécois qui ont préféré donner préséance aux intérêts individuels immédiats et qui ont affirmé plus fortement leur adhésion aux valeurs traditionnelles qui dominent en Amérique du Nord en rejetant la solidarité sociale et le modèle de l’action collective.
L’alternance des idéologies dominantes dans une société est chose normale. Le Québec qui, depuis trente ans faisait figure d’exception en Amérique du nord en soutenant un modèle social-démocrate, s’est tout simplement mis au diapason de la culture politique dominante en Amérique du nord où la droite a réussi à imposer ses critères de jugement des politiques publiques. En même temps, il s’agit d’un retour en arrière puisqu’on ne peut s’empêcher de retrouver dans les discours de Mario Dumont des échos des thématiques de l’Union nationale tant sur le plan social que sur le plan national. On n’a pour s’en convaincre qu’à penser à la revendication de l’autonomie provinciale.
Le succès de l’ADQ repose certes sur l’efficacité du discours de son chef qui par son populisme et ses propositions concrètes a su séduire des clientèles cibles comme les familles, les aînés et les classes moyennes. Mais son entreprise de persuasion a aussi réussi en raison d’une conjoncture particulière, celle de l’apaisement des relations Québec-Canada.
L’arrivée des conservateurs au pouvoir à Ottawa a détendu le climat politique et a rendu la perspective d’accommodements plus plausibles que sous le règne des libéraux. Les Québécois étant moins polarisés par l’enjeu constitutionnel et se sentant moins menacés par les ingérences canadiennes ont donné libre cours à l’expression de valeurs profondes qu’ils sublimaient jusque là pour maintenir un rapport de force favorable au Québec dans le bras de fer politique qui se joue depuis 25 ans avec le Canada. Dans le jeu de la confrontation, la majorité des Québécois francophones soutenaient le Parti québécois. L’accalmie constitutionnelle a permis l’expression de positions plus traditionnelles qui se taisaient jusque là. Le hiatus entre le Québec urbain et cosmopolite et le Québec homogène des régions existait, mais il n’émergeait pas dans les débats publics. Il était refoulé par l’intérêt supérieur de la nation.
Le Parti québécois avait profité de cette conjoncture pour constituer une alliance arc-en-ciel qui mobilisait à la fois des courants idéologiques progressistes et traditionalistes au nom du pays à construire. Ses leaders avaient réussi l’amalgame de plusieurs forces sociales en conciliant projet national et projet social. Ceux-ci avaient la crédibilité et l’expérience pour construire une large coalition dominée par l’idéologie social-démocrate qui s’était imposée dans la foulée de la révolution tranquille. Mais ce rassemblement entretenait aussi des tensions contradictoires entre les forces urbaines qui contrôlaient le leadership et l’idéologie du parti et les forces traditionnelles qui subissaient leur hégémonie. De toute évidence, cette alliance s’est effritée. Comme le projet national s’estompe de l’horizon politique, de nombreux électeurs ont choisi de voter pour un parti qui représente leurs valeurs fondamentales. Ce n’est pas le projet souverainiste qui a été rejeté, c’est sa nécessité immédiate, de nombreux souverainistes estimant qu’un délai dans sa réalisation ne serait pas catastrophique puisqu’il n’y a plus péril en la demeure.
On peut penser qu’il y a une large part d’illusion dans cette perception optimiste qui occulte trop facilement les tendances lourdes du fédéralisme canadien. L’histoire a montré que le fédéralisme oscille entre de longues périodes de centralisation et de brèves périodes de détente dans les relations fédérales-provinciales. Comme on peut prévoir le retour inéluctable de la logique centralisatrice, la désillusion sera au rendez-vous dans quelques années. Mais on peut aussi pronostiquer qu’à court terme la lune de miel avec les conservateurs ne durera pas et que le désir d’autonomie exprimé par le vote adéquiste trouvera rapidement ses limites lorsqu’il s’agira de le concrétiser.
Il serait suicidaire pour le Parti québécois de prendre la proie pour l’ombre et de tirer comme leçon de sa défaite la nécessité de remettre en question la pertinence de son option fondamentale. Les têtes à queue idéologiques sont contreproductifs car ils n’inspirent pas confiance d’autant plus que la case autonomiste est déjà occupée sur l’échiquier constitutionnel. Lorsqu’on défend des valeurs fondamentales, la persévérance est plus payante que le reniement.
Il faut penser la souveraineté comme une nécessité historique qui doit demeurer comme une alternative aux avatars du fédéralisme peu importe les circonstances. Vouloir un pays pour être maître de ses choix collectifs n’est pas une ambition à géométrie variable qui fluctue en fonction de facteurs exogènes comme les changements de conjonctures politiques. Il faut distinguer l’essentiel du circonstanciel. Il faut aussi comprendre la dynamique canadienne qui profite chaque fois de l’affaiblissement des forces souverainistes pour revenir à ses tendances naturelles à la centralisation et au renforcement de l’unité nationale. Lorsque les Québécois reviendront à la nécessité d’un nouveau statut politique, il faudra une force organisée en qui ils pourront avoir confiance pour sortir de leur dépendance parce qu’elle aura mené un combat incessant pour la souveraineté.
La déconfiture électorale du Parti québécois s’explique aussi par ses propres turpitudes.
Comme tout parti qui cherche à se rallier des clientèles particulières, le Parti québécois a donné plus d’importance à son projet social qu’à son projet national. Il a voulu moderniser son image en s’identifiant à des revendications sectorielles à la mode qui lui ont aliéné ses clientèles plus conformistes. Il s’est dispersé dans la promotion de causes périphériques qui ont éloigné les Québécois de son projet fondamental. Il s’est désintéressé de la construction identitaire et a négligé de faire la pédagogie de la souveraineté. Certes ses porte-parole ont affirmé leur volonté de réaliser la souveraineté par un référendum dans le meilleur délai mais sans expliquer pourquoi il fallait faire la souveraineté.
On entre ici au cœur de la contradiction du discours péquiste qui dissocie élection et référendum et qui restreint la promotion de la souveraineté aux campagnes référendaires en oubliant que les adversaires font constamment et avec une pléthore de moyens la promotion du Canada et la critique du projet souverainiste entre les élections et durant les élections. Un parti souverainiste, comme le disait Jacques Parizeau, doit penser et parler souveraineté avant pendant et après les élections. L’argumentaire pour la souveraineté devrait être le premier axe de la communication du Parti québécois et ne pas être réservé uniquement aux campagnes référendaires. Un parti qui ne défend pas son option et ses valeurs fondamentales n’inspire pas confiance.
Enfin le dernier facteur qui explique la défaite du Parti québécois est le leadership d’André Boisclair non pas parce que celui-ci a mené une mauvaise campagne mais parce qu’il n’a pas été en mesure d’inspirer confiance. Quoiqu’il fasse et quoiqu’il dise, André Boisclair ne suscite pas l’adhésion parce que les Québécois ne peuvent s’identifier à lui et aux valeurs qu’il représente. Le sens des responsabilités qu’il a évoqué dans son discours de la défaite devrait le conduire à annoncer sa démission dans les meilleurs délais pour laisser le temps à un autre chef d’être choisi rapidement afin de pouvoir affronter la prochaine échéance électorale dans les meilleures conditions. En ne tirant pas les leçons de sa défaite et en voulant par opportunisme mettre la souveraineté en veilleuse, il provoquera une autre crise au Parti québécois qui risque alors d’imploser.


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