Le retour à la démocratie comme alternative à l’accommodement raisonnable

Tribune libre - 2007


Les résultats de tous les sondages sont clairs et ils confirment ce qu’on entend dans les lignes ouvertes et dans les chaumières : l’immense majorité de la population, y compris les immigrants, s’oppose aux accommodements raisonnables. Devant ce constat, les élites ont deux choix. Le premier, qui constitue sans doute leur réflexe naturel, consiste à se dire que le peuple n’a pas compris, qu’il est biaisé par des préjugés et qu’il doit donc être rééduqué. En exagérant un peu beaucoup, on croirait que certains rêvent d’une révolution culturelle à l’envers, où plutôt que d’envoyer les bourgeois à la campagne comme à l’époque de Mao, on enverrait les prolétaires dans les quartiers multiethniques de Montréal afin qu’ils s’ouvrent enfin à l’infinie richesse de la diversité. Pourtant, il existe sans doute un autre choix possible, celui du respect pour le peuple et ses opinions.
Avant de préciser cette dernière option, il convient de rappeler en quoi consiste la doctrine de l’accommodement raisonnable. Grosso modo, il s’agit de la possibilité pour un citoyen d’obtenir par voie judiciaire la modification d’un règlement ou d’une loi, dans la mesure où ce règlement ou cette loi l’affecte de manière particulière en raison d’une caractéristique identitaire telle la religion. Par exemple, un règlement d’école stipulant que les élèves ne peuvent porter de couvre-chef en classe pourrait être modifié par un juge à la demande d’un juif ou d’une musulmane. Ainsi, ce règlement continuerait de s’appliquer aux autres élèves, mais serait inapplicable à l’élève voulant porter une kippa ou un voile en raison de sa religion. Le fait que le règlement n’est pas totalement invalidé fait dire aux partisans des accommodements raisonnables qu’il est sauvé et qu’il n’y a donc point de risque que cela mène à l’anarchie. C’est oublier que dans une société fondée sur l’égalité formelle entre les individus, ces derniers acceptent que leur liberté (ou celle de leur enfant) ne soit restreinte que dans la mesure où celle des autres l’est également; toute forme de traitement différencié étant rejeté par la plupart des citoyens, d’où l’opposition aux accommodements raisonnables. La question qui se pose à nous est de savoir s’il est possible de concilier la diversité et l’égalité formelle.
Sans vouloir nier toute pertinence au concept d’accommodement raisonnable, nous croyons que la réponse à cette question est et doit être oui. Cette alternative à l’accommodement raisonnable qui permettrait une telle conciliation réside tout simplement dans une confiance renouvelée en la démocratie. Revenons à l’exemple du règlement interdisant les couvre-chefs en classe. Ou bien ce règlement a une raison d’être fort pertinente, telle l’importance d’identifier clairement les élèves afin d’assurer leur sécurité, et alors il doit s’appliquer à tous; l’identification d’un élève étant importante peu importe ses croyances. Ou bien, ce règlement n’a plus vraiment de raison d’être, ce qui serait le cas par exemple s’il visait à une époque lointaine à inculquer aux élèves l’habitude d’enlever leur couvre-chef en vue de leurs visites régulières à l’église, et dès lors il doit être aboli tout simplement. Une telle abolition permettrait aux juifs de porter la kippa et aux musulmanes de porter le voile, et ce en respectant l’égalité formelle, puisque les autres élèves auraient aussi droit de porter… une casquette sans doute.
Et le meilleur moyen pour découvrir si un règlement a une bonne raison d’être consiste tout simplement à s’en remettre à ceux pour qui il existe, soit ici les élèves dont les droits démocratiques sont exercés par leurs parents. Concrètement, cela signifierait que les juifs ou les musulmans qui souhaiteraient voir abolir le règlement devraient soumettre l’idée à l’instance démocratique compétente, soit le conseil d’établissement, qui trancherait. Personnellement, j’aurais tendance à prédire que dans un tel cas le règlement en question serait effectivement aboli. Par contre, le même processus aboutirait sans doute au résultat inverse s’il s’agissait d’un règlement interdisant les armes blanches, dont les kirpans.
Cela dit, l’essentiel est que cette démarche de démocratie délibérative serait susceptible de rapprocher les citoyens d’origines diverses en favorisant une meilleure compréhension mutuelle, alors que les procédures judiciaires qui mènent à l’imposition d’accommodements raisonnables ne font qu’attiser les antagonistes. « Démocratie délibérative », « compréhension mutuelle », et je pourrai même ajouter « dialogue interculturel », voila autant d’expressions qui font habituellement fureur chez nos élites. Ces dernières devraient donc être les premières à prôner un retour à la démocratie comme alternative à l’accommodement raisonnable. Ah mais j’oubliais, elles ont sans doute trop de préjugés à l’égard du peuple pour le laisser décider ainsi.
Me Guillaume Rousseau

L’auteur, qui est doctorant en droit à l’Université de Sherbrooke, vient de publier La Nation à l'épreuve de l'immigration aux Éditions du Québécois

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L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne





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