Le retour du béton

Béton-tombe...


Il y a des sujets qui sont plus «plates» que d'autres. Comme les infrastructures. Les conduites d'eau, les toits d'école qui coulent, les égouts, ce n'est pas sexy, ça n'intéresse pas grand monde. On l'a encore vu la semaine dernière à l'indifférence réservée au vaste projet de travaux d'infrastructures annoncé par le gouvernement Charest. Même si les sommes en jeu étaient colossales, 30 milliards, deux fois la Baie-James.



Ce n'est pas parce que c'est plate que ce n'est pas important. Quand on ne s'occupe pas de nos infrastructures, des gens peuvent mourir. Le rapport qu'a remis hier Pierre Marc Johnson, au terme de son enquête sur la catastrophe du viaduc de la Concorde, est là pour nous le rappeler. Il décrit une culture de négligence et d'indifférence qu'on retrouve aussi dans les pouvoirs publics et la société dans son ensemble.
Le message de M. Johnson, qui souhaite des investissements massifs pour restaurer les ponts et les viaducs, nous force à prendre ces enjeux au sérieux. Et cela signifie aussi qu'il faut regarder avec l'attention qu'il mérite le projet de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget.
L'accélération des investissements en infrastructure sera assez substantielle pour avoir une influence mesurable sur la croissance économique. Cela contribuera à créer de la richesse, parce qu'une nation qui exporte a besoin de bonnes routes, de ponts, de ports et d'aéroports. Et surtout, réparer nos ponts, rénover nos écoles et moderniser nos hôpitaux, c'est une façon d'améliorer la qualité de vie et, dans certains cas, de sauver des vies.
Pourquoi alors l'indifférence? Il y a sans doute un peu de mépris pour ce qui relève de la conciergerie collective. Mais aussi du cynisme envers le monde politique, surtout quand il y a du béton ou de l'asphalte pas loin, le symbole même, depuis des générations, de la politique partisane.
Un cynisme renforcé par l'espèce de cercle vicieux dans lequel se retrouve le gouvernement Charest, impopulaire et minoritaire, dont on interprétera chaque geste comme un effort pour marquer des points. Il est évident que le gouvernement libéral veut se servir de ce projet pour remonter la pente. Je suis sans doute naïf, mais je crois encore que la meilleure façon de marquer des points, au bout du compte, c'est de bien gouverner. Et que ce plan québécois d'infrastructure est une initiative qui s'inscrit dans une logique de bonne gouvernance.
L'idée d'injecter 30 milliards en cinq ans, c'est à dire doubler le rythme des investissements en infrastructures, avait été annoncée dans le budget du printemps. Ce qu'ajoute la présentation de la semaine dernière, c'est une démarche qui, en quelque sorte, réinvente le genre. Les projets d'infrastructure classiques, par exemple le grand programme du gouvernement Chrétien, reposent en général sur la logique économique du bulldozer et la logique politique de la visibilité. Une espèce de bar ouvert pour les provinces qui n'a pas mené aux meilleurs choix. Cette fois-ci, le gouvernement propose une approche raisonnée.
D'abord un cadre conceptuel, où le gros des fonds sera consacré à la remise à niveau d'équipements collectifs qui avaient dépéri. Un choix qui prête d'ailleurs moins aux abus politiques, parce qu'on fait moins de millage avec des réfections d'égouts et des rénovations d'école qu'avec des bouts d'autoroute.
Ensuite, une méthode pour éviter les débordements de coûts qui caractérisent les grands travaux publics, avec des contrôles, parfois des PPP. Mme Jérôme-Forget, l'artisan du projet, aimerait un peu plus de neurones et moins de testostérone et se méfie des projets où les pépites s'emballent avant que les plans ne soient prêts. Une logique de contrôle, typique du Conseil du Trésor, plutôt que le laxisme maintenant documenté du ministère des Transports.
Enfin, un grand principe, le devoir pour le gouvernement de maintenir les équipements collectifs en bon état, au nom de l'équité intergénérationnelle, mais aussi parce qu'une société dont les actifs dépérissent est une société qui s'endette. Depuis 30 ans, les gouvernements ont sous-investi, parce que cela permettait d'économiser sans que ça paraisse. L'idée d'inscrire dans une loi l'obligation d'injecter à chaque année assez d'argent pour éviter la dégradation des actifs n'est pas redondante. Car même si cela relève du bon sens le plus élémentaire, personne ne l'a jamais fait.
Il est clair que ce projet libéral répondait, à l'avance, au rapport Johnson. Les intentions et les grands principes sont là. Reste maintenant à voir comment le gouvernement Charest les mettra en pratique. S'il résistera à la tentation partisane, si réussira à contrôler les coûts en assurant la qualité, et si ce grand chantier pourra se faire dans le respect des équilibres budgétaires.
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