Le retour du molosse

Old Harry - gisement d’hydrocarbures



Depuis des années, Jean Charest accuse Stephen Harper de traîner les pieds dans la lutte contre les changements climatiques pour favoriser l'industrie pétrolière de l'Ouest canadien et de saboter du même coup les efforts que fait le Québec.
Pendant que le premier ministre canadien collectionne les prix citron dans les forums internationaux, M. Charest reçoit des louanges et donne même son nom à une forêt australienne.
M. Harper est cependant un homme rancunier. On peut facilement imaginer le plaisir qu'il a pris à justifier par la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre la garantie de prêt de 4,2 milliards qu'Ottawa consentira à Terre-Neuve pour financer son projet de câble sous-marin destiné à acheminer l'électricité produite au Labrador vers les provinces maritimes et la Nouvelle-Angleterre.
M. Charest, qui se proposait de se montrer discret durant la campagne fédérale, ne pouvait cependant pas demeurer silencieux devant une intrusion fédérale qui vient changer les règles du jeu sur le marché de l'électricité et offrir un avantage indu à un éventuel concurrent.
D'ailleurs, même si Ottawa offrait d'aider Hydro-Québec à financer ses projets énergétiques, M. Charest ne pourrait jamais l'accepter. S'il y a un domaine dans lequel même un fédéraliste aussi inconditionnel que lui doit respecter la règle du «Maître chez nous», c'est bien celui-là.
Sans nécessairement reprendre la plume pour écrire aux chefs de parti, il était difficile d'imaginer qu'il puisse demeurer un gentil toutou jusqu'à la fin de la campagne. De là à redevenir le molosse qu'il était en 2008, c'était une autre affaire.
La semaine dernière, M. Charest accusait le PQ de chercher à antagoniser la campagne pour servir les intérêts électoraux du Bloc québécois. Gilles Duceppe n'espérait sans doute pas un tel coup de pouce de sa part. Peu importe quel parti formera le gouvernement, aucun n'osera cependant revenir sur la promesse faite à Terre-Neuve. Le molosse se contentera-t-il de montrer les dents?
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Le lieutenant de M. Harper au Québec, Christian Paradis, s'est empressé de dorer la pilule en assurant que la compensation de 2,2 milliards pour l'harmonisation de la TPS et de la TVQ serait versée d'ici le 15 septembre. Qui plus est, le principe de l'asymétrie sera maintenu lors du renouvellement du Transfert canadien en matière de santé (TCS) en 2014.
Autrement dit, le Québec, qui a été la première province à harmoniser sa taxe de vente, en 1992, aura finalement droit au même traitement qui a été accordé à Terre-Neuve, à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick en 1996, de même qu'à l'Ontario et à la Colombie-Britannique en 2009. C'est vraiment trop de bonté!
Quant à l'asymétrie, cela aurait été un comble qu'un gouvernement qui prône un fédéralisme d'ouverture remette en question un principe qui est appliqué depuis sept ans. Encore faut-il que l'argent suive. L'ensemble des transferts fédéraux doit être renégocié, et rien n'assure que le gouvernement Harper serait aussi généreux que l'avait été celui de Paul Martin en 2004.
Comme il l'avait fait à l'annonce de l'entente sur les hydrocarbures du golfe, M. Charest s'est défendu avec la dernière énergie d'avoir participé à un quelconque marchandage, mais la coïncidence entre l'octroi de la garantie de prêt offerte à Terre-Neuve et l'annonce en catastrophe faite par M. Paradis atteste qu'Ottawa fait bel et bien un lien.
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«Un tiens vaut mieux de deux tu l'auras», dit le proverbe. Si l'engagement envers Terre-Neuve est formel, les bénéfices que le Québec pourrait tirer du pétrole du golfe sont encore très incertains. On ne connaît pas exactement l'importance du gisement Old Harry et la question de la frontière avec Terre-Neuve demeure entière.
C'est un sophisme de dire que l'entente intervenue la semaine dernière garantit l'intégrité du territoire québécois. Peu importe le résultat de l'arbitrage concernant la frontière maritime avec Terre-Neuve, Ottawa prétend conserver la propriété des fonds marins.
Dans la réalité des choses, l'arbitrage portera sur le partage des redevances entre le Québec et Terre-Neuve. Dans la mesure où le gisement Old Harry est situé à 70 % de son côté de la frontière, c'est le Québec qui a le plus à perdre d'un éventuel arbitrage. Jouera-t-il le tout pour le tout ou profitera-t-il de la période de négociations qui est prévue pour proposer un partage moins avantageux, mais qui éliminerait le risque de tout perdre?
Contrairement à ce que Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse avaient négocié avec Ottawa, le Québec n'a actuellement aucune garantie que les revenus qu'il pourrait éventuellement tirer du pétrole ne se traduiront pas par une baisse de la péréquation.
Le Québec n'est pas à la veille de pouvoir s'en passer. Compte tenu de la population du Québec, le ministère des Finances a calculé qu'il devrait tirer 17 milliards de ses ressources naturelles pour y arriver. À titre de comparaison, les revenus pétroliers de la richissime Alberta ont été de 12 milliards en moyenne au cours des cinq dernières années.


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