SANTÉ

Le spectre d’un superministre effraie

Le projet de loi de Gaétan Barrette est la première étape d’une réforme majeure

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Barrette démantèle les structures que Couillard avait créées en 2003, et Couillard applaudit. Cherchez l'erreur !

Le ministre Gaétan Barrette monte à l’assaut de la « tour de Babel » du réseau de la santé et des services sociaux. Il propose la fusion de 182 établissements « ayant une fonction de gestion » à travers le Québec en 28 établissements, dont 19 centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), qui seront « sous l’autorité directe du ministre ». La montée en puissance du ministre suscite l’inquiétude.

Les agences de la santé et des services sociaux (ASSS) passeront à la moulinette, ce qui entraînera l’abolition de plus de 1300 postes d’employés-cadres dans le réseau, a confirmé M. Barrette. « Ce palier n’apportait [pas] la plus value escomptée lors de sa création et, à bien des égards, parfois, entraînait certains dysfonctionnements », a-t-il soutenu en point de presse jeudi après-midi.

Chacun des CISSS aura « autorité » sur les centres hospitaliers (CH), les centres locaux de services communautaires (CLSC), les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les centres de protection de l’enfance et de la jeunesse (CPEJ) et les centres de réadaptation (CR) sur son territoire. « Fini les obstacles administratifs, fini les dossiers non partagés, fini les multiples cartes d’hôpital, fini les guerres de clochers », a promis l’adepte des gourous de la gestion intégrée des soins comme Cleveland Clinic et Kaiser Permanente.

Le redéploiement du réseau laissera intacts « tous les points de service », a insisté le Dr Barrette, appelant du même souffle la population à ne pas prêter attention à « ceux et celles qui annonceront l’apocalypse ». « C’est une refonte administrative ! »

Un système « centré » sur le ministre ?

Le projet de loi 10 prévoit la dissolution de quelque 170 conseils d’administration d’établissements de santé à travers le Québec. Il confie au ministre la tâche de désigner la plupart des 13 ou 15 membres des CA des 19 nouveaux CISSS. « La majorité des membres seront indépendants, nommés par le ministre sur la base de leurs compétences », a assuré M. Barrette aux journalistes. Il aura aussi la main haute sur le processus de désignation des présidents-directeurs généraux des CISSS si le projet de loi 10 est adopté sans amendements. Il pourra même « intervenir » dans le fonctionnement des établissements « si des gestes incompatibles avec les règles de saine gestion sont posés ».

La directrice générale de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), Diane Lavallée, montre du doigt une « centralisation sans précédent des pouvoirs entre les mains du ministre ». « On aura un palier : le ministre et son ministère », a-t-elle affirmé au Devoir. Le réseau de la santé sera « fragilisé de façon importante » s’il est soumis à « une plus grande politisation », a-t-elle soutenu. La porte-parole de l’AQESSS entrevoit une « période de turbulences ». « On est très inquiets. »

La réforme proposée « n’est pas centrée sur le patient », a déploré la députée péquiste Diane Lamarre. « Elle est centrée sur le ministre. » En plus de remettre en question « l’ampleur des pouvoirs discrétionnaires dévolus au ministre », le député solidaire Amir Khadir a dit douter des chances de succès de l’opération amorcée par M. Barrette. « Le PLQ a une lourde pente de crédibilité à remonter. Les réformes de l’ère Charest font encore mal au réseau de la santé et n’ont pas donné les résultats escomptés, que ce soit en termes d’économies ou d’efficacité », a-t-il souligné. Le député caquiste Éric Caire a dit aussi espérer que l’abolition des ASSS « n’aboutira, en bout de ligne, qu’à un changement de nom pour les structures, comme il a été vu par le passé ».

Le ministre Barrette se défend de vouloir faire main basse sur le réseau. « Le ministère aurait la responsabilité de définir les priorités, les orientations et les politiques nationales », tandis que les CISSS se verront confier la « responsabilité de planifier, coordonner, organiser et dispenser les services à la population » tout en effectuant la « planification régionale des ressources humaines », a-t-il affirmé. « Il ne s’agit pas ici de centraliser la gestion du système de santé dans les mains du ministre, il s’agit au contraire de la décentraliser. »

220 millions d’économies récurrentes

Le projet de loi prévoit la mise sur pied d’un CISSS dans chacune des régions du Québec, à l’exception de celle de Montréal, où il y en aura cinq (Ouest-de-l’Île, Centre-de-l’Île, Nord-de-l’Île, Est-de-l’Île, Sud-Est-de-l’Île). La réorganisation épargnera quatre « établissements suprarégionaux », c’est-à-dire le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et l’Institut de cardiologie de Montréal. M. Barrette a jugé « inopportun » de les inscrire dans une dynamique de CISSS en raison, dit-il, de la nature particulière de leurs missions.

« Moins de bureaucratie pour plus de soins, c’est de ça qu’on parle ici », a fait valoir le premier ministre Philippe Couillard dans la foulée du dépôt du projet de loi à l’Assemblée nationale.

Le gouvernement libéral escompte des économies récurrentes d’au moins 220 millions de dollars par année à compter de 2017. « Soyons clairs, nous ne sommes pas dans un simple exercice de retour à l’équilibre budgétaire, mais bien dans un exercice de changement de culture », a averti M. Barrette.

Le projet de loi 10 a laissé sur sa faim la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). « Le gouvernement “ austéritaire ” fait une réforme de comptable. Il n’y a rien là-dedans pour améliorer la qualité des soins », a dit la présidente de l’organisation syndicale, Régine Laurent.

Les sceptiques seront confondus, à en croire le Dr Barrette. « Les gens vont voir une différence très significative bien avant la fin du premier mandat » prévu à l’automne 2018, a-t-il lancé après avoir sonné la charge contre « l’excès de bureaucratie, le manque d’accès en première ligne, le manque de coordination, les chicanes de clochers… »

D’ailleurs, le projet de loi 10 constitue le « premier » de « plusieurs gestes » pour corriger les « dysfonctionnements » dans le réseau de la santé, a-t-il averti. Par exemple, le gouvernement libéral entend revoir « le plus rapidement possible » le financement des établissements de santé en arrimant celui-ci à leurs activités.

« Stay tuned », a dit le premier ministre Couillard durant la période de questions.


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