Le Tour des Tricheurs

Il vient un moment dans la vie, où la colère, même si elle est souvent mauvaise conseillère, donne de meilleurs résultats que les débats

Chronique de Louis Lapointe

Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,

Tout le monde en convient, et nul n'y contredit.

Cependant, sa grimace est, partout, bienvenue,

On l'accueille, on lui rit ; partout, il s'insinue ;

Et s'il est, par la brigue, un rang à disputer,

Sur le plus honnête homme, on le voit l'emporter.

Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures,

De voir qu'avec le vice on garde des mesures ;

Et, parfois, il me prend des mouvements soudains,

De fuir, dans un désert, l'approche des humains.

Le Misanthrope, Molière.
Qui n’a pas pensé un jour ou l’autre que le Tour de France était devenu le Tour des tricheurs? Il en est de même de la politique canadienne à l’endroit de l’indépendance du Québec. Tous les coups sont permis parce que l’indépendance serait une menace à la sécurité canadienne. À l’exemple des Français à l’égard des tricheurs du Tour, il faudrait que nous aussi les traitions avec le même mépris si nous voulons qu’ils disparaissent définitivement de la vie politique.
Comme bien des Québécois, je suis le Tour de France depuis des années. Avez-vous remarqué comme le Tour de France est enlevant cette année? Tout plein d’échappées par nos cousins français et de nombreux autres coureurs qui nous étaient à ce jour inconnus, tant les tricheurs prenaient toute la place sur les routes de France et dans les médias. Pas de tricheurs cette année, enfin presque pas.
Un peu comme ce fut le cas avec la politique canadienne depuis 1995, au grand déplaisir des Français, ce sont davantage les tricheurs qui ont fait les manchettes du Tour au cours des dernières années. Même si le gagnant de 1996 a avoué avoir triché, Bjarne Riis a pu conserver son titre parce qu’il y avait prescription. Cela m’a aussitôt fait penser aux voleurs du référendum de 1995 qui ont eu droit à la clémence de la justice, soit parce que leurs crimes étaient prescrits en vertu des lois pénales québécoises, ou parce que nos lois ne s’appliquaient pas aux tricheurs du ROC. Quant à Landis, le gagnant de 2006, il a vu son titre radié et a été suspendu du Tour. Pendant ce temps, ici au Canada, les présumés responsables politiques du scandale des commandites sont exonérés de tout blâme par la cour fédérale.
Il faut dire que les Français, pas leurs chefs, mais ceux du bon peuple, ont pris les choses en main et ont décidé de manifester avec véhémence leur dégoût face à une situation qui se détériorait à vue d’œil et qui risquait de faire perdre toute crédibilité à ce joyau de leur sport national. Cela n’était pas sans rappeler cet épisode où ils réclamaient du pain devant le portail de Versailles alors qu’ils appelaient au retour du Roi à Paris. Lorsqu’il y a péril en la demeure, les Français le sentent, ils sortent alors les gros mots. Il serait peut-être temps que notre ras-le-bol collectif se donne des airs de Commune de Paris si nous voulons communiquer ce sentiment d’urgence à nos chefs et à nos concitoyens. S’il ne reste plus que les gros mots pour sonner le réveil des troupes et défendre la démocratie, pourquoi se gênerait-on ? Sortons-les, quitte à les ranger plus tard.
Il faut bien appeler un chat un chat, et à cette enseigne les Français ne donnent pas leur place, ils n’ont surtout pas la langue dans leur poche. Devant une situation qui s’envenimait de plus en plus, les descendants du plus célèbre des Gaulois, lui-même héros du Tour de Gaulle, n’ont pas attendu que leurs hommes politiques réagissent. Jouant les Astérix et Obélix, ils sont tombés à bras raccourcis sur les organisateurs et les tricheurs du Tour. Dehors les tricheurs ! Désormais, les vendeurs et les consommateurs de potion magique n’auront plus leur place sur le Tour. On souhaiterait qu’il en soit de même avec la politique fédérale canadienne. Plus de fourbes, d’hypocrites et de menteurs pour dénaturer notre Histoire et nous maintenir indûment au sein du Canada. Il faudra bien des mots pour signifier l’urgence de la situation. Certains ont le mérite de réveiller plus que d’autres. Il est temps qu’on se grouille le cul si on ne veut pas se le faire botter !
Tout cela n’est pas sans me rappeler les héros de notre enfance que nous côtoyions quotidiennement dans les bandes dessinées et qui avaient le grand mérite de nous faire rire. Il faut dire qu’ils ne pratiquaient surtout pas la langue de bois. Qui ne se rappelle pas des célèbres jurons du capitaine Hadock et des personnages d’Astérix le Gaulois qui mêlaient baffes, calembours et gros mots avec délice. Même l’Histoire Sainte qu’on nous enseignait à l’école avait parfois des airs d’épopée glorieuse, en particulier lors de ces épisodes où nous comprenions tous sans que cela nous soit clairement expliqué, qu’il fallait parfois se faire violence à soi-même et ne pas avoir peur d’utiliser les mots qu’il faut pour protéger nos valeurs.
Comment ne pas évoquer ce haut fait de l’Histoire où celui qui a inspiré les plus grands pacificateurs du vingtième siècle a mis à la porte, manu militari, tous les vendeurs du Temple. Ce jour-là, il n’a certainement pas fait dans la dentelle, il n’a même pas discuté, dehors les vendeurs du temple ! Ce n’était pas le Jésus du discours sur la montagne que nous découvrions là, mais bien celui de l’urgence d’agir avec la vigueur qu’il faut lorsque nos institutions sont en péril et qu’elles sont menacées dans ce qu’elles ont de plus noble et sacré.
Tout ce qui se déroule devant nos yeux, avec la collaboration des médias, ne peut que provoquer cynisme et démission chez nos compatriotes. Voilà pourquoi il faut abolir la langue de bois et faire image, quitte à utiliser tous les mots les plus pertinents du dictionnaire. Pourquoi ne pas appeler Molière à la rescousse? Qu’on se le dise et se le répète, la démocratie, c’est tout ce qu’il nous reste pour nous affranchir et nous libérer de nos chaînes. Si nous laissons nos ennemis la ternir et l’avilir, que nous restera-t-il pour faire l’indépendance, dites-le-moi? C’est justement là que réside le danger. Je n’ai pas besoin de le nommer, tout le monde aura compris. C’est pour ça qu’il faut crier notre hargne, ici, maintenant : parce qu’il y a urgence et qu’il ne faut surtout pas laisser nos adversaires nous enfermer dans nos derniers retranchements, tel des animaux piégés et blessés.
Il vient un moment dans la vie où la colère, même si elle est souvent mauvaise conseillère, donne de meilleurs résultats que les débats : quand les tricheurs sont en train de saccager l’héritage du Tour de France qui aura bientôt cent ans ; quand les commerçants envahissent les temples pour vendre leurs articles bon marché sur leurs étales ; quand les forces fédéralistes transforment la démocratie en tricherie que l’on a érigée en système afin de protéger le Canada contre la menace séparatiste, pays où la justice innocente les coupables parce qu’un juge expérimenté a abusé des gros mots (oups!). Il est temps que les mots appropriés se fassent entendre pour que nos chefs descendent de leurs boucliers et les brandissent afin de se porter à la défense de la démocratie en péril.
Dehors les tricheurs !
Louis Lapointe

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juillet 2008

    Pourquoi un seul homme?
    Qu'est-il arrivé par le passé lorsqu'un seul homme portait le mouvement indépendantiste?
    Lorsqu'il part, le mouvement tombe.
    Il faut arrêter d'attendre le héros qui viendra nous sauver. Nous devons tous travailler ensemble afin d'atteindre l'Indépendance.
    S'il se présente en plus un héros, il faudra l'appuyer, sans le laisser faire tout le travail.
    Il ne nous reste qu'une seule arme : La Parole!
    Alors utilisons-là à outrance!

  • Archives de Vigile Répondre

    19 juillet 2008

    C'est pourquoi, il faut un homme, un SEUL, debout, bravant tout, même les sarcasmes venant de la populace, du peuple même qu'il veut sauver de l'extinction, pour franchir l'étape finale.
    Le voyez-vous venir? Moi, je ne vois que turpides, calculs politiques, fins finauds qui aspirent au podium du pouvoir.
    Pierre B.