La Commission Bouchard-Taylor aura beau remuer les désirs et les insatisfactions du peuple québécois, c'est dans la cour des tribunaux que s'édicteront les limites de ce qui est accommodant et de ce qui n'est pas raisonnable.
Le jugement du Tribunal des droits de la personne, qui condamne l'Hôpital général juif de Montréal pour une pratique discriminatoire de sexualisation des postes de préposés aux bénéficiaires, en constitue un magnifique rappel. Avant de trancher en faveur de deux employées plaignantes, il devait départager entre les droits à l'intégrité, la vie privée et la liberté de religion des bénéficiaires, et le droit des employées à un traitement sans discrimination basée sur le sexe.
Il y a dans ce jugement rendu par Pierre E. Audet une superbe leçon de choses: à force de trop vouloir accommoder pour des motifs religieux, ne serait-on pas parfois en train de discriminer les accommodants?
Voilà ce qui semble être survenu derrière les murs de l'Hôpital général juif. L'institution a «sexualisé» ses postes de préposés aux bénéficiaires en instaurant deux catégories: «nurses' aide» pour les femmes et «orderly» pour les hommes. L'entente patronale-syndicale a beau s'asseoir sur le principe louable du respect des patients dans la prestation de soins intimes, elle bafoue au passage le droit des employées à l'égalité en matière d'emploi. En étant confinées à une catégorie d'emploi et interdites d'accès à une autre, les deux femmes ont en effet perdu tant en avancement professionnel qu'en revenus.
Le sentiment de départ était pourtant sincère. La cour le rappelle: lorsqu'il est question de manipulations si intimes -- changer une couche, laver les patients, les préparer pour une chirurgie --, le droit au respect de l'intégrité, de la dignité et de la vie privée est indéniable.
Instaurée en tant que culture d'entreprise, cette pratique s'appuyait aussi sur des motifs religieux. Pour une portion des patients de religion juive orthodoxe soumis à la Torah et aux lois talmudiques, les contacts entre personnes de sexe différent, hors du mariage, sont considérés immoraux et sont par conséquent interdits.
Mais, comme la cour le souligne, le tiers seulement des patients de cet hôpital sont de religion juive; plus encore, seuls 13 % de la communauté juive sont associés à une pratique ultraorthodoxe renvoyant à ces proscriptions. Le juge Audet insiste surtout sur le fait que, quel que soit le motif -- religieux, culturel ou thérapeutique --, le droit fondamental des patients à des soins prodigués dans la dignité et le respect ne peut aller à l'encontre du droit des préposées à un traitement égal et non discriminatoire.
Or, l'hôpital n'a pas su démontrer que ce système généralisé était nécessaire pour éviter de brimer les droits des patients. Ironiquement, il est semoncé pour n'avoir proposé... aux employées aucun «accommodement raisonnable» qui aurait éviter (sic) de brimer leur droit à l'égalité en matière d'emploi!
Ce jugement constitue un sérieux rappel à l'ordre, dont tout le monde -- l'hôpital le premier, la société ensuite -- doit tenir compte. À trop vouloir accommoder les uns, on finit par brimer les autres.
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machouinard@ledevoir.com
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