Les commémorations de la libération d’Auschwitz à Jérusalem sans le président polonais

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Campagne de propagande israélienne, russe et américaine contre la Pologne au sujet de sa responsabilité dans la Seconde Guerre mondiale

Le président polonais Andrzej Duda a annoncé au début du mois que, faute d’être autorisé à s’y exprimer, il ne se rendrait pas aux commémorations du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz par les Soviétiques organisées par l’institut Yad Vashem à Jérusalem le 23 janvier prochain. Cette décision est liée au refus des organisateurs de lui permettre de prononcer un discours alors que des discours sont prévus de la part des représentants de la Russie, de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. Le président polonais craignait donc d’avoir à écouter en silence de nouvelles accusations du président russe Vladimir Poutine qui, reprenant les éléments de la propagande soviétique, a récemment estimé que la Pologne avait cherché à s’allier avec Hitler et qu’elle portait une part de responsabilité de la guerre et de la Shoah, contrairement, selon Poutine, à l’URSS dirigée par Staline qui n’aurait signé le Pacte germano-soviétique d’août 1939 (et sa clause secrète prévoyant le partage de l’Europe centrale) que pour gagner du temps.


Voici l’explication de cette situation vue de Pologne par le biais d’un article du journaliste et polémiste Rafał Ziemkiewicz publié dans l’hebdomadaire polonais conservateur Do Rzeczy du 13-19 janvier 2020 :


« Israël est dominé par les juifs russes dont le rapport à notre pays a été formé par la propagande de l’ex-URSS. Leurs ressentiments coïncident avec les intérêts des influentes organisations juives américaines. »


Avec quelques semaines de recul, il devient visible que les insultes du président russe, qui a à quatre reprises attaqué la Pologne en insinuant que nous étions coresponsables de la Seconde Guerre mondiale et en qualifiant nos hommes politiques d’avant-guerre de salauds d’antisémites, n’étaient pas un hasard mais bien le début d’une campagne de propagande réfléchie. Il semble que cette campagne trouvera son apothéose au Forum mondial sur la Shoah à Jérusalem où, justement cette année, Vladimir Poutine sera l’invité et l’intervenant avec le rang le plus élevé.


Ce forum annuel qui se réunit pour la cinquième fois le 23 janvier est organisé par une fondation privée, le World Holocaust Forum, contrôlée par Viatcheslav Moshe Kantor, un oligarque russe qui est en même temps un activiste opérant dans le milieu des organisations juives internationales. Sans trop s’intéresser aux origines de sa fortune, on peut être sûr qu’il ne l’aurait pas acquise, ou en tout cas pas conservée, sans une collaboration active avec les autorités et les services russes. Malgré tout, c’est justement Kantor qui a une influence décisive sur le programme de la rencontre, tandis que le parrainage du musée Yad Vashem et des autorités israéliennes font de cette rencontre, aux yeux du monde entier, une commémoration annuelle officielle. Les opinions exprimées dans ce genre de lieux sont immédiatement reprises en Une des médias mondiaux les plus influents.


Des attaques pour masquer des problèmes internes


Nous ne connaissons que trop bien leur force de frappe après le Pearl Harbor qu’a fait subir à notre image le Premier ministre israélien il y a deux ans en ordonnant à son ambassadrice de s’en prendre à la Pologne justement pendant les cérémonies de commémoration de la libération d’Auschwitz, en faisant croire à une supposée volonté polonaise de sanctionner les historiens et artistes décrivant les coresponsabilités polonaises dans la Shoah. Le prétexte de cette attaque avait été donné par l’amendement à la loi mémorielle polonaise. Cependant, et même si c’est passé inaperçu, y compris du côté polonais, étaient en réalité visés des paragraphes de la loi interprétés de manière partiale à cette occasion alors qu’ils existaient depuis des années sans jamais avoir suscité de protestation des juifs. Ceux-ci auraient pourtant eu de nombreuses occasions de faire part de leurs éventuels doutes par des moyens entrant dans le cadre des relations normales entre nations civilisées. Avec le temps, il est évident que tout ce vacarme était la conséquence des conflits politiques internes en Israël. En déclenchant le scandale, Netanyahou voulait détourner l’attention des accusations de corruption formulées à son encontre justement à ce moment-là, et il voulait en même temps montrer sa fermeté vis-à-vis d’une Pologne que l’électorat nationaliste israélien n’aime guère et auprès duquel Netanyahou voulait s’assurer une avance sur son principale concurrent sur ce segment, Yaïr Lapid. Il n’a pas tout à fait atteint son objectif puisque son pouvoir reste instable et que l’action du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a permis, sans doute grâce à des pressions américaines, d’obtenir une déclaration commune avec Netanyahou qui rend à la Pologne une certaine justice historique et qui a permis de limiter nos pertes.


Cette affaire a néanmoins servi de modèle et d’inspiration à Vladimir Poutine. Et ici aussi, les causes principales des attaques sont à rechercher dans les problèmes internes de l’agresseur. Poutine a un besoin de plus en plus pressant de succès. L’agression en Crimée et au Donbass par des hommes armés portant des uniformes sans distinctions nationales, à propos desquels Poutine avait affirmé qu’ils avaient bien pu s’équiper dans n’importe quel magasin d’équipements de survie, n’a pas permis aux Russes de récupérer l’Ukraine. Au contraire, dans une société qui était jusqu’ici imprégnée de ressentiments post-communistes et de ce fait plutôt pro-russe, la perfidie de l’agression russe a éveillé l’esprit de résistance et de haine contre le voisin oriental. Embourbée au Donbass, la Russie semble en même temps perdre de son influence en Biélorussie. Alexandre Loukachenko, qui a très mauvaise presse chez nous, s’est avéré être pour Poutine un partenaire plus dur que quiconque aurait pu prévoir. C’est en partie parce que, de son côté, la Russie s’est avérée incapable de respecter nombre de ses engagements pris lors de la création de l’Union de la Russie et de la Biélorussie. Les Russes n’ont aussi pas vraiment de raisons de se montrer satisfaits de leur situation économique et de leur niveau de vie qui, malgré les promesses, ne s’améliorent pas depuis des années, ce qui leur fait prendre de plus en plus conscience qu’ils vivent dans un État anachronique, en retard non seulement sur l’Occident mais aussi sur l’Asie.


Recourir à l’agression à l’extérieur pour masquer ses problèmes à l’intérieur est une stratégie qui n’est pas nouvelle. On peut multiplier les exemples, de l’Empire ottoman du XVIIe siècle 
à l’attaque des Falklands par la junte militaire argentine. Poutine fait la même chose, même si pour le moment cela reste fort heureusement dans le domaine du symbolique. La particularité de la société russe fait que, plus encore que d’un confort matériel, ses électeurs attendent de lui qu’il satisfasse leur besoin de se sentir citoyens d’une grande puissance. Ils veulent qu’on les convainque que, malgré les difficultés de la vie quotidienne, la Russie compte toujours dans le monde, qu’elle est encore une grande puissance et qu’elle fait encore peur. Et, comme pour les dirigeants politiques israéliens, la Pologne fait figure de cible idéale.


Rapprochement russo-israélien


Une autre circonstance qui incite Poutine à s’en prendre justement à la Pologne, c’est le rapprochement russo-israélien qui est aujourd’hui souhaité par les deux parties, même s’il est mal vu par le principal allié d’Israël et de la Pologne, les États-Unis. Ce n’est pas un hasard si, alors que les drones américains tuaient à l’aéroport de Bagdad le général Soleimani et ses alliés irakiens, et alors que les missiles iraniens tombaient en représailles sur les bases américaines, le président russe s’entretenait à Damas avec le dictateur syrien Bachar el-Assad et se rendait ensuite directement en Turquie pour y rencontrer le président Erdoğan. À un niveau diplomatique inférieur, les Russes font preuve au Proche-Orient d’une activité incessante. Se mêler des affaires de la région est devenu une priorité de la politique russe et une manière pour la Russie de maintenir son statut de puissance. La bienveillance israélienne est dans ce jeu un atout très important pour Poutine, tandis que pour Netanyahou la coopération avec Poutine fournit une marge de manœuvre précieuse face aux exigences de l’allié américain.


L’État d’Israël, créé pour une large part par des juifs originaires de Pologne et qui, à une époque, a très bien accueilli de nombreux artistes polonais, est aujourd’hui dominé par les juifs de Russie chez qui le rapport à notre pays et plus généralement la vision du monde se sont formés au contact de la propagande de l’ex-URSS. Leurs ressentiments coïncident avec les intérêts des influentes organisations juives américaines qui cherchent surtout à répéter ce qu’elles ont fait en dévalisant les banques suisses : racketter la Pologne en lui soutirant des milliards sous prétexte de restitution des anciens biens juifs sans héritiers. Puisque cette idée de restitution des biens qui n’ont pas d’héritiers n’est pas une pratique sanctionnée par le droit international, la seule chose qui puisse justifier leurs revendications serait une « responsabilité morale » de la Pologne. Pour reprendre la formule qu’avait utilisée le président du Congrès juif mondial, on ne peut pas permettre que les auteurs des crimes héritent de leurs victimes. Il ne s’agit pas là, comme veut naïvement le croire l’intelligentsia du PiS, d’un « malentendu » ou d’un « héritage du passé », mais d’une campagne de propagande cynique et immorale en vue de réaliser vis-à-vis de notre pays un plan précis avec des méthodes de gangsters.


On peut difficilement imaginer apogée plus efficace pour cette campagne qu’un forum observé par le monde entier au cours duquel le président russe et des dirigeants politiques et autre autorités du monde juif réprimanderaient un président polonais privé du droit de parole et lui donneraient des leçons de morale sur les responsabilités polonaises dans la guerre et la Shoah. Vu la désinvolture par rapport à la vérité historique dont a fait preuve le Premier ministre Netanyahou lorsque, lors d’un congrès sioniste il y a quelques années, il a affirmé que les Allemands ne voulaient pas la Shoah mais que ce sont des dirigeants musulmans qui les y ont incités, Poutine pouvait être sûr de trouver un collaborateur de ce côté-là. D’autant que, côté israélien, le partenaire de Viatcheslav Kantor pour l’organisation technique du forum n’est autre que le ministre des Affaires étrangères israélien Israel Katz qui, comme le gouvernement auquel il appartient, a toujours refusé catégoriquement de présenter ses excuses pour ses commentaires racistes sur le prétendu « antisémitisme que les Polonais tètent avec le lait de leur mère ».


En refusant de participer à ce qu’il faut bien appeler une parodie politique et historique, le président Duda a pris la seule décision possible du point de vue de la Pologne. Ainsi que l’a fait savoir l’ambassadeur de Pologne en Israël, Marek Magierowski, la possibilité pour notre président de s’exprimer à ce forum aux mêmes conditions que les principaux intervenants avait été présentée il y a déjà plusieurs mois aux autorités de Yad Vashem et d’Israël comme une exigence incontournable. Côté polonais, il semble donc que tout a été fait en partant du principe que nos partenaires étaient de bonne foi. C’est un présupposé naïf, mais nécessaire en matière diplomatique. Peut-être les organisateurs du forum espéraient-ils jusqu’au dernier moment qu’il serait possible de convaincre le président polonais de se cantonner dans le rôle qu’on lui avait affecté, en se servant des « idiots utiles » déjà exploités efficacement dans le passé pour faire porter à la Pologne la responsabilité du massacre de Jedwabne ou pour salir l’image de notre pays.


Des idiots utiles en Pologne


Ce calcul n’était pas sans fondement. L’opposition, qui s’est elle-même qualifiée à une époque d’« opposition totale », nous a déjà prouvé qu’elle était prête, pour s’opposer au gouvernement, au président et à la majorité parlementaire, à donner raison à tous ceux qui attaquent la Pologne sans se soucier du fond de l’affaire en cause, des intérêts de la Pologne ou même du bon sens. Il en est allé de même après l’annonce de la décision d’Andrzej Duda. Au mépris des faits, en Pologne des médias d’opposition ont tout suite imputé la faute de l’attitude antipolonaise des organisateurs du forum à cet amendement à la loi mémorielle évoqué plus haut, à la « diplomatie maladroite du PiS » qui aurait « conduit à un nouveau discrédit total sur la scène internationale », etc. Le couronnement de ces accusations, c’est l’affirmation par le député de gauche Franciszek Sterczewski selon laquelle, « en n’allant pas à Jérusalem, le président Duda s’est lui-même privé du droit à la parole », ou encore le commentaire publié sur le site de gauche Krytyka Polityczna par l’historien Jan Grabowski connu pour ses publications hostiles à la Pologne, selon qui la décision du forum était entièrement justifiée dans la mesure où la Pologne est gouvernée par des « nationalistes » qui ont perdu « le droit moral » de s’exprimer sur la Shoah en niant la responsabilité de la Pologne pour ce crime.


On peut certes se dire que de telles thèses et le recours à des personnes comme Grabowski discréditent une fois de plus « l’opposition totale » et sont la preuve qu’il n’y a pas en Pologne d’alternative sérieuse au gouvernement actuel. Mais malheureusement ce discrédit de l’opposition se fait aux dépens de notre réputation. En voulant absolument nuire à un pouvoir honni, ces opposants polonais crédibilisent et renforcent aux yeux de l’Occident la campagne de Poutine contre l’image de notre pays. Ainsi, par exemple, les thèses du quotidien Gazeta Wyborcza et de l’édition polonaise de Newsweek, sur la supposée erreur du président Duda, ont immédiatement été citées par le New York Times, un journal toujours plus favorable à la Russie qu’à la Pologne. Par la suite, c’est en se référant au New York Times que l’ancien ministre de la Défense Tomasz Szymoniak, aujourd’hui candidat à la présidence de la Plateforme civique (PO), s’en est pris au président (ce qui est d’ailleurs un mécanisme habituel).  Ceci ne fait que renforcer l’impression que veulent créer dans le monde les auteurs des attaques contre la Pologne, comme quoi le forum serait « boycotté » par le président polonais, comme l’a notamment affirmé le New York Times en suggérant que ce boycott serait lié à une réticence polonaise à commémorer la Shoah.


Cette narration du « boycott » des commémorations de la Shoah par les autorités polonaises est pour nous particulièrement dangereuse et elle sert les objectifs que veulent atteindre Poutine, Netanyahou et les racketteurs new-yorkais. Sommes-nous en position de nous y opposer ?


Par chance, l’engagement de Poutine dans la propagande visant à nuire à la réputation polonaise a eu des conséquences qu’il n’avait pas prévues. S’adressant principalement à ses subalternes avec la brutalité propre aux Russes et puisant directement dans la narration historique stalinienne, qui veut aussi que l’Occident faisait non seulement semblant de faire la guerre à Hitler mais limitait en plus ses efforts et retardait le Jour J dans le but de saigner au maximum la Russie, Poutine a choqué et écœuré jusque dans les élites juives et de gauche libérale. Dans ces milieux aussi, des voix se sont élevées pour rappeler que c’est quand même le pacte Staline-Hitler (comme on appelle à l’Ouest le pacte germano-soviétique) qui a ouvert la voie à la guerre, et pas l’annexion par la Pologne de la partie tchèque de Cieszyn au moment de l’entrée des troupes allemandes en Tchéquie en 1938 [comme l’a prétendu le président Poutine en décembre dernier et comme l’affirmait la propagande soviétique, NDLR]. Pour nombre de gens à l’Ouest, les réponses et les commentaires après l’attaque brutale de Poutine ont peut-être été une première occasion d’apprendre que Staline n’était pas le gentil « oncle Jo » et que l’URSS n’était pas un empire du bien qui a stoppé le plus grand criminel de l’histoire, mais que la vérité historique est plus compliquée que cela.


Le choix des personnes invitées à s’exprimer au forum a même suscité quelques inquiétudes au sein des milieux juifs. Des voix se sont élevées, peut-être pas encore très nombreuses mais malgré tout significatives, pour dire que c’est agir au mépris de la vérité historique et du bon sens que de refuser la parole au président du pays qui a perdu le plus de citoyens dans la Shoah et qui a été le premier à alerter les Alliés occidentaux du génocide en cours, alors que l’on met au centre du forum les parties au pacte 
Staline-Hitler et des pays qui sont aujourd’hui théâtre d’une montée des agressions antisémites.


Cela suffira-t-il pour affaiblir la campagne de propagande contre la Pologne et en limiter les conséquences ? Il est évident que beaucoup dépendra du degré de mobilisation des Polonais eux-mêmes et de l’efficacité de nos institutions qui étaient plutôt passives dans la première phase de la campagne. Sans doute le choix par Poutine du début de la période des fêtes de Noël, quand les administrations polonaises sont traditionnellement paralysées, pour lancer ses premières attaques, n’était-il pas un hasard.




Traduit par le Visegrád Post.