Commission Bouchard-Taylor

Les conditions de la réussite

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



Il me semble que le Québec s'active, avec une rapidité étonnante, à éclairer les questions posées à la commission Bouchard-Taylor. [L'article d'Antoine Robitaille dans Le Devoir du 17 août->8262] pose déjà la question essentielle, mais il est peut-être moins facile qu'on ne le pense d'y répondre d'une façon convaincante. Sans doute la question essentielle est-elle de savoir si la diversité est bonne et enrichissante pour le Québec sur le plan culturel. M. Robitaille a raison de penser que les indicateurs de la solidarité ou du «capital social» de Putnam étaient sans doute dépassés, mais si ces indicateurs sont dépassés aux États-Unis, il y a de fortes chances qu'ils soient tout aussi dépassés à Montréal, voire même que ces indicateurs soient défaillants sur le plan théorique.
Sans doute que la commission ne voudra pas s'aventurer sur ce plan-là, car il y a toujours des gens comme Putnam qui n'accepteraient jamais ce que Charles Taylor et beaucoup d'autres auraient à dire, par exemple, au sujet du kantisme. Il serait utile, tout de même, de rappeler que le kantisme fait de très bonnes critiques des antinomies paraissant dans le résumé des conclusions des recherches de Putnam, telles que citées dans Le Devoir du 16 août.
Or, Kant distingue entre la déduction empirique et la déduction métaphysique, en disant que toute déduction est «métaphysique» qui ne soit pas appuyée d'une expérience vécue ou possible. Si le citoyen ne se fie donc pas au gouvernement, s'il fait ou non du bénévolat, s'il participe aux organismes de charité ou aux projets communautaires, on devrait lui demander pourquoi: on devrait s'assurer que ses explications se fondent sur des déductions empiriques. Il est vrai que les gens que je connais au Québec me donneraient de bonnes raisons empiriques, mais si l'on continuait à discuter avec eux, on pourrait trouver qu'ils avaient aussi de très bonnes raisons «métaphysiques» (au sens de Kant). Il y aurait donc des antinomies dans leur discours, ce qui invaliderait d'emblée toute idée que la diversité comme telle entraîne l'anomie ou l'isolement, car ces deux concepts, dans le système de Putnam, ne sont que strictement empiriques.
Pourtant, il n'est pas sûr que la carapace ou l'isolement résultent d'une cause unique, la diversité. Il y a des forces, mesurables empiriquement, dans l'économie ambiante qui transforment le mode de vie de tout le monde, mais «la diversité», comme qualité, est souvent de l'ordre des choix esthétiques ou faits pour le plaisir, pour la recherche de l'identité, pour des valeurs cognitives. Le citoyen, qui se trouve dans une carapace selon la méthodologie de Putnam, peut donc bien apparaître comme très branché si la méthodologie vise aussi l'analyse des réseaux sociaux, cognitifs, esthétiques, fondés sur des a priori du type classifié par Kant comme «métaphysique».
Je ne peux pas aller plus loin, mais je veux faire remarquer que la réussite de la commission dépendra de sa capacité d'analyser les antinomies qui se cachent dans le discours des citoyens, même non religieux. Ce type d'analyse est tout à fait rationnel; il est même très à la mode en anthropologie, mais il faut que les analystes des discours civiques soient des gens rompus à la méthodologie de ce type de recherche. Ces gens existent au Québec, mais [l'article de Bouchard et Taylor, paru dans Le Devoir du 15 août->8202], ne dit rien d'explicite à leur endroit. Je me demande donc s'il existe des fonds disponibles pour faire et analyser des entrevues du type dont je parle ici.
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Éric Schwimmer, Professeur retraité, département d'anthropologie de l'Université Laval

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