«Les Ennemis français de la race anglaise»: le Québec et le paradoxe britannique

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Adam Thom, un propagandiste francophobe du XIXe siècle


Aujourd’hui, la division complexe de l’opinion au Royaume-Uni sur l’accord de retrait du pays de l’Union européenne n’est pas sans rappeler le conflit politique entre conservateurs et progressistes britanniques à propos, en 1836, d’une colonie, le Bas-Canada : l’actuel Québec. Le flegme légendaire des Anglo-Saxons cachait un bouillonnement qu’exprimait l’un d’eux, Adam Thom, en attaquant un gouvernement libéral et, pour lui, « francisé » !



L’historien québécois François Deschamps, déjà auteur d’un ouvrage sur le sujet, livre, avec présentation, notes et annexes, la première traduction des « Lettres anti-françaises » de Thom, rédacteur en chef du Montreal Herald. Elles s’adressent en 1835-1836 à Archibald Gosford, gouverneur en chef de l’Amérique du Nord britannique. L’ultraconservateur s’en prend à Gosford qui, en accord avec le premier ministre libéral de la Grande-Bretagne, Melbourne, tente une conciliation avec la majorité du Bas-Canada.


Né en Écosse mais plus anglo-saxon que celtique d’esprit, Adam Thom (1802-1890) défend l’unité de l’Empire britannique dont il vante la suprématie sur les Français ou les Canadiens d’alors, descendants de Français. Nullement homme d’affaires puisqu’il est dénué de l’entregent nécessaire à la profession, il reste un propagandiste qui glorifie le commerce anglais par la plume. Il explique l’hégémonie marchande de Londres sur une grande partie du globe par la maîtrise des mers qu’exerce la capitale.



Dans la présentation et les notes, Deschamps montre avec pertinence que l’idéal ultraconservateur de Thom se heurte au libéralisme du gouvernement colonial qui, selon le style enflammé du pamphlétaire, « s’allie » avec « les ennemis français de la race anglaise », fragment d’une lettre à Gosford que l’historien choisit comme titre de l’ouvrage. Au dire de Thom, cela conduit à « la suprématie française dans cette colonie » et aux « horreurs pas très éloignées d’une guerre civile ».


Deschamps décèle finement que le racisme anglo-saxon du pamphlétaire finit par l’emporter sur la fidélité aux institutions britanniques. L’influence de Thom sur des marchands, des banquiers, des magistrats anglo-montréalais et des miliciens ultraconservateurs conduit en 1849 à l’incendie criminel du parlement du Canada-Uni, alors situé à Montréal, et au désir que manifestent des anglophones d’ici d’annexer le Canada-Est (futur Québec) aux États-Unis.


Conspirationniste délirant, Thom craint comme la peste en 1835 que Gosford aille jusqu’à sanctionner une loi « déclarant le français langue dominante » du Bas-Canada. Mais, de ce côté-ci de l’Atlantique, le progressisme britannique est beaucoup trop faible pour que l’on puisse même rêver à un tel avancement.



Extrait de «Les Ennemis français de la race anglaise»


« Sérieusement, Monseigneur, pour vos alliés français, rien n’est trop absurde ni trop audacieux qui ne mérite pas d’être tenté. »


Les ennemis français de la race anglaise


★★★ 1/2

Notes de François Deschamps, traduit de l’anglais par Marie Caron, Septentrion, Québec, 2019, 320 pages





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