Les Gilets jaunes et la lame de fond qui vient, par Natacha Polony

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Un mouvement de fond contre le modèle social français qui taxe les petits Blancs et subventionne les migrants illégaux

La fumée des barricades embrasées donnait aux illuminations de Noël un aspect d’étrange féérie. Les Champs-Elysées n’avaient sans doute jamais connu un tel chaos. Et l’on pourra se demander qui, de la mairie de Paris ou des forces de l’ordre, est responsable d’avoir laissé le matériel des innombrables travaux de voirie sur un espace où était annoncée une manifestation, un espace que les CRS auraient pu sécuriser mais dont ils ont choisi de laisser l’accès libre pour ensuite déplorer le triste spectacle.



Bilan catastrophique, mais le pouvoir peut se féliciter



L’analyse des décisions d’encadrement des forces de l’ordre devra d’ailleurs être fait : il était étonnant de voir des CRS chasser des manifestants d’un périmètre et ne pas le sécuriser par la suite, de sorte que les mêmes manifestants revenaient par des rues adjacentes. Les images enchanteront les télévisions américaines qui pourront disserter à loisir sur la France, pays de guérilla.


Bilan catastrophique, mais le pouvoir peut se féliciter. Les Français retiendront les images de la manifestation parisienne, commentées tant et plus par des chaînes d’information continue dont les innombrables experts distinguaient doctement parmi les manifestants des militants d’ultradroite et des identitaires, au motif que surnageaient quelques drapeaux bretons ou vendéens. Pourtant, sur les 106 301 Gilets jaunes officiellement recensés (chiffre vraisemblablement sous estimé, mais hilarant de précision et surtout extrêmement important), 8 000 seulement étaient à Paris. Partout ailleurs, à Bordeaux, Montauban, Toulouse ou Colmar, les gens qui défilaient l’ont fait avec une admirable dignité, dans un souci du bien commun qui force le respect.



Le président de la République a préféré fustiger ceux qui «ont agressé les forces de l’ordre», laissant croire qu’il s’agirait de Gilets jaunes et non ces casseurs



Le contraste avec les déclarations du ministre de l’Intérieur tentant de renvoyer l’ensemble des gilets jaunes à l’extrême droite illustre la déchéance d’un pouvoir acculé.

Tous les observateurs honnêtes témoigneront que, même à Paris, la majorité des manifestants était pacifique. Quand un jeune homme s’est avisé de briser la vitrine de la boutique Zadig et Voltaire du Rond Point, les forces de l’ordre l’ont laissé faire, et ce sont des Gilets jaunes qui se sont interposés. Mais le spectacle offert par les chaines d’info, comme les commentaires des macronistes officiels et officieux, ne laissait pas deviner ce civisme, malgré les nombreuses Marseillaises entonnées ici ou là. Le président de la République a préféré fustiger ceux qui «ont agressé les forces de l’ordre», laissant croire qu’il s’agirait de Gilets jaunes et non ces casseurs qui s’infiltrent dans chaque manifestation.


Emmanuel Macron, du temps où il faisait la leçon à son prédécesseur, avait reproché à François Hollande son mépris pour les manifestants de la Manif pour tous. La tactique était pourtant simple, renvoyer à toutes forces les citoyens pacifiques du premier jour vers Civitas et les identitaires, laisser le mouvement se radicaliser pour mieux le décrédibiliser. Les Gilets jaunes sont un mouvement spontané, venu des tréfonds du corps politique. Une colère, une indignation, même, contre un système injuste qui empêche peu à peu les petites classes moyennes de vivre correctement de leur travail.



Les privilèges qui furent abolis dans la nuit du 4 août 1789 se sont reconstitués



La morgue macronienne et les caricatures de Christophe Castaner n’ont qu’un objectif : renforcer les éléments radicaux de ce mouvement pour le transformer en une éruption extrémiste. Mais la colère des Gilets jaunes est d’un autre ordre qu’une protestation contre un projet de loi. C’est une lame de fond qui monte. Les Gilets jaunes ne sont que les premiers soubresauts du séisme à venir. Car ils incarnent ce tiers état qui aspire simplement à ce que soient tenues les promesses de la démocratie. Un tiers état qui trime pour boucler ses fins de mois et qui voit les 0,1% les plus riches échapper à l’impôt, qui voit l’Etat s’appauvrir et couper dans les services publics plutôt que de lutter contre les procédés d’optimisation fiscale des multinationales.


La question politique qui s’impose à nous est de savoir comment on peut se retrouver, plus de deux siècles après la révolution française, face à des mouvements populaires qui ressemblent tant à ceux d’un peuple soumis à l’ancien régime. Les privilèges qui furent abolis dans la nuit du 4 août 1789 se sont reconstitués. Emmanuel Macron n’est évidemment pas la cause de ce phénomène, dont il faut chercher les sources dans le processus de dérégulation de l’économie qui a peu à peu détruit le compromis social et politique issu de la seconde guerre mondiale. Mais Emmanuel Macron avait réussi à faire croire le temps d’une campagne qu’il portait la nouveauté.


Il était le changement sans le chaos, la «révolution» sans la violence mais avec l’enthousiasme. Les quelques uns qui tentaient alors de faire valoir que le changement proposé n’était que de façade, qu’il s’agissait de remplacer les hommes pour mieux préserver le système, ont été traités de «déclinistes», de «populistes» ou de «réactionnaires». Il était hors de question de gâcher la fête avec des interrogations désagréables, comme celle qui consistait à demander ce qui se passerait le jour où, au pied du mur, il faudrait choisir entre les propositions contradictoires de l’«en même temps», et si le macronisme – ô suspense – préférerait fâcher le peuple ou les lobbys. Il n’y aura fallu que dix-huit mois. Quelques mois pour démontrer que dans un environnement économique contraint, où l’orthodoxie budgétaire interdit tout investissement, mais où il est également inenvisageable de protéger ses filières vitales, la seule marge de manœuvre possible est l’impôt, non pas pour les plus riches, qui partirait avec les derniers capitaux, mais pour les classes moyennes assignées à résidence.



 Il est urgent d’offrir un débouché politique à la colère d’un peuple qui se sent acculé



La vieille recette de la reductio ad lepenum de toutes les oppositions ne fonctionnera plus très longtemps. En revanche, il est urgent d’offrir un débouché politique à la colère d’un peuple qui se sent acculé, condamné à la simple survie pour préserver un système dans lequel les individus sont privés de leur rôle de citoyens pour n’être que des rouages d’une machine économique orientée vers le profit de multinationales déterritorialisées et d’élites détachées de toute appartenance et de toute solidarité. Les Pierre Moscovici et les Jean-Claude Junker seraient bien avisés d’entendre le grondement de tous les Gilets jaunes du monde occidental, car nul ne peut souhaiter que la colère se transforme en rage et en désespoir.