Que des individus veuillent acheter local, c’est très bien. C’est leur droit. Affaire de goût. Que des producteurs veuillent conjointement ou non mettre de l’avant leurs produits en insistant sur leur caractère québécois, c’est très bien. Affaire de marketing et de concurrence. Je suis pour.
Mais quand ce discours devient politique économique, c’est problématique.
Acheter local, c’est du « America First » de Donald Trump. Même discours, mêmes enjeux, mêmes dangers. Le Canada et le Québec se sont battus contre ce discours pour faire passer le traité de libre-échange ACEUM et restreindre le président Trump d’inciter les entreprises américaines à acheter l’acier et l’aluminium américains au dépens de notre propre industrie. Ce n’est pas le moment de promouvoir une version « Québec First ». Le gouvernement américain se comporte de manière irresponsable au niveau international ; ce n’est pas une raison de lui emboîter le pas.
Rappelons que près de 40 % des emplois au Québec dépendent des marchés extérieurs. Comment le ministre Fitzgibbon pourra-t-il aller à New York, Washington, Toronto et Calgary convaincre nos partenaires d’acheter québécois ? Quand il demande aux Québécois d’acheter québécois.
Le Québec, comme le Canada, doit plutôt promouvoir la consolidation du marché canadien, encore rempli de barrières à la mobilité des biens, des services et de la main-d’œuvre, élargir au maximum sa participation au grand marché nord-américain et profiter de l’ouverture que permet le traité du Canada avec l’Europe. Ce n’est vraiment pas le temps de nous rendre plus difficile ce travail nécessaire et essentiel en ayant une politique gouvernementale niant implicitement les bienfaits que l’on tire de ces grands marchés auxquels nous avons déjà un accès privilégié. Compte tenu de notre dimension relative, nous souffririons grandement d’une réaction de nos grands partenaires à une politique « Québec First ».
Ne tuons pas la poule aux œufs d’or, mais préparons-nous plutôt à pondre davantage en profitant d’un marché mondialisé devenu le nouveau marché local.
On entend souvent que notre mode de vie repose sur une croissance perpétuelle, alors que les ressources de la planète sont limitées. C’est faux. Ce discours est une constante de l’histoire de l’humanité. L’économiste Stanley Jevons se préoccupait en 1865 de la disparition des forêts de bois de chauffage en Angleterre. C’est la thèse discréditée du Club de Rome des années 70. L’innovation et les marchés et prix concurrentiels sont venus à bout de toutes les menaces d’épuisement de ressources naturelles auxquelles l’humanité a fait face dans le passé. La croissance passe essentiellement par l’amélioration des produits et services de tous genres, y compris les nouveaux, et nous avons à ce sujet une immense marge de manœuvre à combler.
Dans le même bateau
La crise actuelle demande une collaboration internationale plus éclairée, plus forte et plus résiliente, capable de contrecarrer les mouvements antimondialisation. Mettre l’accent sur des grappes nationales en agroalimentaire et en santé, par exemple, aurait un impact négatif, entre autres sur la situation dans les pays en développement, augmentant ainsi le risque de nouvelles pandémies dans les pays développés. Plus que jamais, les humains sont tous dans le même bateau, mais c’est un grand bateau que certains peinent à voir comme tel.
Espérons que la marche vers plus de coopération, plus d’innovation, plus de mondialisation et d’accords internationaux et plus de concurrence, c’est-à-dire la marche vers un monde plus intégré et civilisé, survivra à la gestion actuelle de la crise de la COVID-19.