AU ROYAUME DU BREXIT (1 DE 4)

Les «petits Blancs» oubliés par la mondialisation

093fddec682c3e28f195e9044fa2c115

Une campagne de peur comme au Québec en 1995

Le 23 juin, les Britanniques décideront de demeurer dans l’Union européenne ou de la quitter. Quarante ans exactement après le référendum de 1975, par lequel ils avaient adhéré à la Communauté économique européenne, ils s’apprêtent à prendre une des décisions les plus importantes de leur histoire. Alors que les partisans de la rupture (Leave) avec l’Europe talonnent de près ceux qui veulent y demeurer (Remain), Le Devoir est allé sonder les enjeux d’un scrutin historique.
Le train qui mène à Clacton était autrefois emprunté par les ouvriers de l’Est londonien à la recherche d’un moment de repos. Dès les années trente et jusque dans les années 70, c’est par milliers que les familles venaient passer leurs congés payés dans cette station balnéaire spécialement aménagée pour eux. C’était une sorte d’Atlantic City pour les revenus modestes, se souvient Peter Cawthron. « Dans les années 60 et 70, on venait ici passer des vacances en famille sur le bord de la mer. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. L’ambiance n’est plus du tout à la fête. On vient plutôt se réfugier à Clacton parce qu’on a été obligés de fuir Londres. C’est triste. »

C’est ce qu’on appelle le « white flight », la « fuite des petits Blancs » chassés de Londres par l’embourgeoisement, la spéculation immobilière et l’arrivée massive de plus de deux millions d’immigrants depuis dix ans. Voilà ce qui fait de la région d’Est-Anglie et de son district de Tendring les plus eurosceptiques du Royaume-Uni.

« Si on n’est pas prêts à se ruiner pour acheter une maison ou à vivre à plusieurs dans un appartement comme les Roumains ou les Polonais, on n’a pas vraiment le choix de quitter Londres, dit Cawthron. Aujourd’hui, il faut faire 100 kilomètres pour trouver une maison à un prix abordable. » Ce technicien en informatique a quitté Ilford, à l’est de Londres, il y a cinq ans pour Clacton, où les maisons coûtent trois fois moins cher. Depuis, il est devenu conseiller municipal sous la bannière du plus antieuropéen des partis britanniques, le parti UKIP de Nigel Farage, qui est arrivé en tête aux dernières élections européennes.

Les « oubliés » de la mondialisation

Peter Cawthron, dont la mère était allemande et qui connaît bien le continent, se défend pourtant d’être antieuropéen. « On n’est pas contre l’Europe. Au contraire, on l’aime. Mais c’est aussi l’Europe qui a changé. » Pour illustrer les raisons pour lesquelles sa région a élu le seul député UKIP de Grande-Bretagne (Douglas Carswell), Peter Cawthron vous emmène sur la plage. Un vent glacial y souffle venu de la Manche, où des éoliennes à perte de vue brisent la ligne d’horizon et défigurent le paysage.

« On vient de réaménager la plage l’an dernier, dit-il fièrement. Vous voyez les beaux rochers qu’on a disposés un peu partout. Eh bien, ils viennent de Norvège ! Le chantier a été donné à une entreprise néerlandaise. Les chauffeurs de camion, eux, venaient de Nouvelle-Zélande. C’est à croire qu’on ne sait même plus fabriquer de la caillasse en Grande-Bretagne ! »

Ce contrat, Clacton en aurait pourtant eu bien besoin. Si les entreprises étrangères raflent les meilleurs chantiers, l’explosion des voyages à prix réduits vers le Sud a achevé de tuer l’industrie touristique locale. Il y a longtemps que le centre d’amusement aménagé au bout du quai à la mode des années 1950 ne fait plus recette et que les grandes pensions de dix ou douze chambres ont été transformées en maisons de retraite ou pour handicapés. Les nouveaux touristes viennent en caravane, ce qui ne rapporte pas grand-chose à la ville, dit la conseillère municipale Mary Newton. Même le centre commercial Factory Outlet a fermé ses portes. Sur la rue principale, Station Road, on voit un nombre étrangement élevé de personnes en fauteuil roulant.

« C’est vrai qu’ici, l’Europe n’est pas très populaire », reconnaît la militante travailliste Samantha Atkinson, qui distribue des tracts devant la salle municipale. Les passants ne se bousculent pas à sa petite table de littérature. Pourtant, comme dans de nombreuses circonscriptions où le Brexit est populaire, la région a longtemps voté à gauche, dit-elle. « Ici, on a peur de l’immigration. Moi, je veux que mes deux filles puissent aller étudier et travailler en Europe. Je veux pouvoir prendre ma retraite en France ou en Italie. » Mais la retraite en Italie n’est probablement pas pour demain. Mère célibataire au début de la quarantaine, Samantha gagne sa vie en faisant des entrevues pour des enquêtes de marketing. Et le soir venu, pour boucler ses fins de mois, elle livre des mets chinois.
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->