Douze hommes et un poète

Les «Rapaillés» reprennent le flambeau Miron

Le destin québécois


Guillaume Bourgault-Côté - On a parlé d'effet Miron, de phénomène Miron, de tourbillon Miron... Autant d'épithètes pour évoquer l'énorme succès de l'album Douze hommes rapaillés chantent Gaston Miron. Plus de 35 000 exemplaires vendus, 10 000 spectateurs... personne n'avait prévu l'ampleur de la réception. Conséquence heureuse: voilà le deuxième volume.
Ils sont tous là, à un Plume près: Corcoran, Rivard, Séguin, Lavoie, Léon, Perreau, Faubert, Flynn et Vallières. Sans oublier Louis-Jean Cormier et Gilles Bélanger, concepteurs du projet, de même que le nouveau venu Yves Lambert. Douze hommes rapaillés autour de Gaston Miron, camarades poursuivant une aventure chansonnière à la réussite inespérée.
Sur la pochette, l'esquisse du poète est la même. Le fond rouge a cédé la place à un bleu violacé, mais on ne peut guère se tromper sur la filiation entre les deux albums. Même équipe, même esprit. Miron à la plume, Bélanger aux musiques, Cormier qui s'occupe du trio réalisation-guitares-direction musicale. Formule éprouvée, formule gagnante.
En 2008 comme en 2010, Cormier et Bélanger ont souhaité un album enregistré «sur l'adrénaline, dans une ambiance chaleureuse», explique le réalisateur. Neuf jours de studio pour douze chansons, «pas plus de quatre heures pour chaque interprète». La journée terminée, la blonde de Gilles Bélanger et une amie préparaient les repas et débouchaient les bouteilles de vin. «Une ambiance de fête, de partage, dit Louis-Jean Cormier. Du travail vite fait, bien fait, dans le bonheur. Pour moi, ç'a été les deux plus belles productions de ma vie.»
Les deux disques présentent ainsi beaucoup de similarités. Tous avaient souligné il y a deux ans l'extraordinaire cohérence du projet, son harmonie d'ensemble: le deuxième volume est de la même eau. Chaque interprète se fond dans la matière, s'efface derrière Miron, trouve le ton juste du travail collectif.
Et pourtant, dans cette unité générale, la griffe de chacun s'entend bien. Amour sauvage, amour sied comme un gant à Yann Perreau. Oh secourez-moi! est du Rivard pur jus. Idem pour Martin Léon et Avec toi. C'est à la fois anonyme et complètement incarné.
Plus rock
Mais la vraie bonne nouvelle est ailleurs: dans les différences. Dans ce que Cormier et Bélanger ont choisi de modifier à la matrice générale pour éviter la redite.
Il y a d'abord les textes, que Gilles Bélanger estime être «plus engagés». Miron parle évidemment d'amour («Comme un ciel défaillant tu viens t'allonger / Mes paumes te portent comme la mer / En un tourbillon du coeur dans le corps entier»). Mais on entend aussi davantage le poète de la militance («Mais donne la main à toutes les rencontres, pays / Toi qui apparais / Par tous les chemins défoncés de ton histoire»), témoin de ce «peuple qui n'en finit plus de ne pas naître».
Plus évident, il y a ensuite la facture sonore. Plus musclée que sur le premier disque. Toujours folk, mais avec des touches de rock. Moins Dylan, plus Tom Waits. «On est parti de la réflexion qu'un volume 2 est en général plus banal dans la vie parce qu'il vient avec un bagage, explique Louis-Jean Cormier. On ne voulait pas se répéter, on s'est dit qu'on allait pousser plus loin, célébrer la musique et l'art avec quelque chose de plus éclaté.»
Gilles Bélanger était d'autant plus d'accord qu'il voit là une logique de caractère: «J'imagine Miron comme une locomotive, une sorte de volcan. Pour moi, le côté rock traduit bien ce tempérament.» Dont acte.
Ce changement de son a aussi été rendu possible par la malléabilité des chansons. Car de la fournée de douze, dix n'avaient jamais été enregistrées, note Bélanger (Chloé Sainte-Marie avait déjà enregistré Soir tourmente, ici chantée par un troublant Daniel Lavoie, et Sentant la glaise, reprise par Jim Corcoran).
«Contrairement au volume 1, ces chansons ne roulaient pas dans les mains de Gilles depuis longtemps, dit Louis-Jean Cormier. Certaines ont été écrites pour les spectacles, mais elles étaient toutes très jeunes, il a fallu les tourner, les restructurer, les rendre fluides. C'étaient des ébauches un peu plus brutes.»
Ainsi Compagnon des Amériques, qui a bien failli ne jamais voir le jour, révèle Cormier. «Gilles travaille dessus depuis près de dix ans, mais ça ne marchait pas, on n'avait pas la tournure. J'étais prêt à la supprimer deux semaines avant d'enregistrer. Mais je me suis tanné, je suis parti jouer de la guitare chez nous, j'ai "gossé" pendant des jours, et ça a fini par débloquer.» Résultat? Un des moments forts du disque, avec Séguin aux commandes d'un des grands textes de Miron.
«C'est un travail d'équipe qui résume bien le projet, avance Gilles Bélanger. Je propose quelque chose, Louis-Jean fait des ajustements, l'interprète met tout ça à sa main. Chacun amène sa touche, et ça marche.» Comme ça, naturellement. L'effet Miron, disent-ils.


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