La semaine dernière une animatrice célèbre d’émissions télé a eu un accident grave. Elle cherchait à brancher son Ipod et dans sa distraction une collision l’a éjectée par le toit ouvrant. Fractures de la hanche, sternum amoché, le bilan est dur. Tous les commentaires journalistiques allaient dans le même sens : heureusement qu’elle n’avait pas sa ceinture de sécurité car cela lui a permis de se faire éjecter plutôt que de se faire fatalement écrasée dans la carcasse de la voiture.
Le jugement fut repris en boucles, un ronron aveugle. Ce que personne n’a pensé à dire, c’est que la prise du Ipod dans le modèle de la conductrice se trouve dans la boîte à gants. La conductrice s’est débouclée pour atteindre la boîte côté passager. Si la conductrice avait gardé sa ceinture de sécurité elle n’aurait pas pu chercher sa boîte à gant en quête de sa prise Ipod. Elle aurait gardé ses mains sur le volant et, vraisemblablement, il n’y aurait pas eu d’accident.
Au lieu de faire ce raisonnement simple, les perroquets ont répété : heureusement qu’elle a eu la bonne idée de se détacher. C’est un bel exemple de ronron hypnotique que vous trouverez même dans des sociétés qui regorgent d’esprits libres et de diplômés universitaires.
Personne aujourd’hui n’aime se faire dire qu’il est piégé dans des concepts sécurisants ou des raisonnements tronqués. Chacun aime prétendre qu’il se remet sans cesse en question. Mais un simple usage des mots suffit à aiguiller les préconceptions du vrai et du faux pour mystifier collectivement et individuellement. Appelez le traité d’annexion de 1982 rapatriement de la Constitution. Il y a des chances par cette simple appellation de mitiger le sens de l’événement.
Ou encore, l’expression loi de la clarté pour désigner une loi qui statue les droits de propriété des citoyens canadiens sur le Québec passera mieux que si elle avait été appelée loi sur le contrôle territorial du Québec. Incroyable la facilité avec laquelle on peut s’endormir et ne jamais s’outiller au plan institutionnel pour que le Québec définisse lui-même ses droits. Il suffit de ronronner.
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Il y a d’autres exemples de ronron hypnotique, la série télévisée René Lévesque par exemple. Pour maintenir la tension dramatique dans le récit, le scénariste a carrément donné des fonctions à des personnalités historiques, plusieurs bien vivantes (comme Parizeau et Claude Morin) les ravalant au rang de types romanesques.
Pour expliquer le cafouillage de la série René Lévesque, il faut d’abord toucher quelques mots sur les fonctions dramatiques des personnages en scénaristique. Prenons l’exemple de la série Star Trek. Vous avez Spok, l’éternel sceptique. Le sceptique est l’incrédule. Il veut que son équipe gagne mais ils ne pensent pas qu’ils peuvent; mais lui, il le croit parce que les membres de son équipe sont induits en erreur. Celui qui joue le rôle de Spok dans la série René Lévesque c’est Parizeau. La série nous le montre en train de promener sa moue dubitative tandis que le capitaine du vaisseau se dirige dans le piège orchestré par l’ennemi.
Dans la veine de la scénarisation hollywoodienne, vous avez le contrepoids maléfique au sceptique bien intentionné. On l’appelle le tentateur. Dans Star Trek, c’est le membre de l’équipage qui revient d’une sortie dans l’espace contaminée. Une mutation incontrôlable s’est emparée de sa personne et il fera désormais le jeu de l’ennemi. Le tentateur est celui qui entraîne le capitaine dans une illusion et fait dévier sa quête.
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[->12695]Emmanuel Bilodeau incarne René Lévesque dans la série René, diffusée à Radio-Canada. (Photo Radio-Canada)
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Celui qui occupe cette fonction dramatique dans le scénario, c’est Claude Morin.
La série pour convenir à la légende archétypique et être assuré de l’effet dramatique a négligé de se rapporter aux sources historiques les plus avérées, le livre de Martine Tremblay par exemple. Les développements de l’affaire Morin qui ont conduit les témoins de l’affaire à dire que Claude Morin n’avait pas trahi le Québec s’effacent devant les nécessités de la fiction dramatique. Les archétypes étaient trop efficaces pour qu’on daigne y renoncer. On a sans doute craint de perdre le téléspectateur avec des personnages nuancés, confrontés à des dilemmes.
Une vraie série sur René Lévesque devrait être animée par un véritable esprit de recherche. La série prend comme référence un seul livre, celui de Pierre Godin dont la vraisemblance historique est quasiment nulle. Comme la légende, les archétypes et la tension dramatique ont présidé à l’élaboration du scénario, il aurait été plus juste que Radio-Canada qualifie la série de fiction romanesque inspirée d’un cadre historique.
La série va hélas s’installer comme une référence, un classique avec des personnages profilés. Est-ce une référence ou un tas de chromes, un divertissement pour jeter des étincelles?
Remarquez qu’il s’en raconte bien d’autres de nos jours. Vous entendrez Charest dire que Parti Libéral du Québec est le seul parti libre par rapport au Fédéral. Pourtant l’émissaire du Parti Libéral du Canada, Denis Coderre, s’activait au dernier congrès du PLQ pour y recruter des candidats aux prochaines élections fédérales.
Cela n’empêchera pas Charest de redire que son parti est libre, grand défenseur de la province. Quand un message est trop bien lancée, afin de passer pour sage, n’allez surtout pas le contrarier; Toujours moins risqué de répéter une sornette qui se défend bien toute seule, bien mélangée parmi tant de ronrons hypnotiques.
André Savard
Série sur René Lévesque
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