Ottawa — Tout est légal et il n’y a pas de quoi s’inquiéter, ont rétorqué lundi soir les grands patrons des agences de renseignement du Canada en réponse aux récents reportages faisant état de surveillance des voyageurs utilisant Internet sans fil dans un grand aéroport du pays.
Il s’agissait de bâtir un modèle mathématique et non pas de suivre des Canadiens à la trace, se sont-ils défendus.
« Ce n’était pas un programme opérationnel de surveillance, a fait valoir en comité sénatorial le chef du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), John Forster. Le document qui a été publié la semaine dernière fait référence à un modèle que nous tentons de construire d’un pattern typique de communications aux alentours d’un point d’accès à Internet, dans ce cas-ci un aéroport. » Seules les métadonnées ont été recueillies. « Cela n’inclut aucun contenu de courriel, de message téléphonique, de texto ou de photo », a-t-il souligné.
La semaine dernière, le réseau CBC a rendu public un document obtenu du délateur Edward Snowden, daté du 10 mai 2012 et mettant en cause le CST, une agence de surveillance électronique canadienne. Selon le document, le CST a testé une nouvelle technologie ayant pour but de retrouver plus rapidement l’emplacement d’utilisateurs Internet. Les résultats devaient être partagés par le Canada avec ses partenaires de renseignement membres du groupe « Five eyes » (États-Unis, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande et Australie).
Pour son test, le CST a donc ciblé un grand aéroport canadien (l’aéroport Pearson de Toronto, a précisé M. Forster en comité) et a détecté pendant deux semaines tous les utilisateurs du réseau wi-fi de l’aéroport. L’agence a pu les suivre pendant quelques jours grâce à leurs adresses IP. Ce pistage a été si efficace qu’il a permis non seulement de détecter les emplacements des utilisateurs dans les jours qui ont suivi, mais aussi de retracer ceux des jours précédant l’interception. Ces informations étaient non nominatives.
Selon la loi, le CST n’a pas le droit d’intercepter les communications de Canadiens ou de personnes se trouvant en sol canadien. Ce qu’a réitéré le grand patron hier. « Ce n’était pas une opération de surveillance. Ce n’était pas le but de l’exercice. On ne visait personne, on ne tentait pas de trouver quelqu’un ou de suivre les mouvements individuels d’une personne en temps réel », a déclaré M. Forster.
Le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre, Stephen Rigby, a lui aussi défendu le CST, estimant que tout avait été fait dans les règles. « Je ne suis pas entièrement persuadé que le CST a accédé au wi-fi […] La récolte de métadonnées par le CST a été vérifiée constamment au fil des ans par le commissaire, a été jugée légale et appropriée. Cela ne compromet pas les communications privées des Canadiens. Ce sont des données à propos de données. Alors tout cela est bien à l’intérieur du mandat du CST », a noté M. Rigby, qui comparaissait avant M. Forster en comité.
Pas de Canadiens épiés
Les métadonnées « sont assez essentielles » et ne sont que les paramètres des communications Internet, a souligné M. Forster aux sénateurs. C’est en pistant grâce à elles le trafic Internet que le CST peut identifier et localiser ses cibles qu’il surveillera à l’étranger, a-t-il expliqué. S’il peut arriver que les conversations de Canadiens soient interceptées, « compte tenu de la nature complexe du cyberespace », ces informations sont alors mises de côté. « C’est le risque que l’on court, car nous n’avons aucun moyen de savoir à l’avance — encore moins de contrôler — avec qui nos cibles pourraient communiquer, notamment si c’est des Canadiens », a plaidé le chef du CST.
Aux Communes, le ministre de la Défense nationale, de qui relève le CST, a répété sans relâche que le commissaire indépendant qui surveille l’agence a conclu que celle-ci agissait en conformité avec la loi. « Il souligne que toutes les activités du CST qu’il a étudiées avaient été autorisées et menées dans le respect de la loi. Alors, c’est quoi leur problème ? », a lancé, accusateur, le ministre Rob Nicholson à l’endroit des députés de l’opposition.
Le rapport annuel 2012-2013 du commissaire n’était cependant pas à ce point catégorique. « La majorité des activités » de collecte de renseignements à l’étranger ne présentait aucun problème, est-il écrit. « Toutefois, un petit nombre de dossiers indiquaient la possibilité que des Canadiens aient été visés par certaines activités, ce qui est contraire à la loi. » Le porte-parole du commissaire insiste sur le fait que ce dernier est indépendant du ministre. Bien qu’il doive remettre au ministre son rapport annuel avant son dépôt au Parlement, le ministre n’a pas le pouvoir d’en modifier le contenu d’aucune manière.
Nonobstant, les libéraux profiteront de leur journée d’opposition, aujourd’hui, pour réclamer la mise sur pied d’un organisme parlementaire « de supervision de la sécurité nationale ». « Le précédent existe dans d’autres pays. Il y a une raison », a fait valoir le sénateur libéral Grant Mitchell. Les néodémocrates — qui ne comptent pas de sénateurs — ont de leur côté demandé aux conservateurs de convoquer le ministre Nicholson et M. Forster devant un comité des Communes.
Notons aussi qu’en décembre, le CST a été sévèrement réprimandé par le juge de la Cour fédérale Richard Mosley. Celui-ci avait accordé un mandat en 2008 aux Services canadiens du renseignement de sécurité pour mettre sur écoute deux citoyens canadiens soupçonnés de poser un risque pour la sécurité nationale. Ce que le juge ne savait pas, et n’avait donc pas autorisé, c’est que le CST mandaté pour effectuer cette écoute se faisait aider par des agences étrangères. « Il est clair que le pouvoir de cette cour de lancer un mandat a été utilisé comme un paravent pour cacher des activités qui n’ont pas été autorisées », a écrit le juge Mosley, estimant qu’il s’agissait « d’une décision délibérée de garder le tribunal dans le noir à propos de l’étendue » des activités de collecte de renseignements.
Le conseiller de Stephen Harper, M. Rigby, a souligné en réponse aux questions sur le sujet, hier soir, que cette décision avait été portée en appel et que la « conversation judiciaire » n’était pas terminée.
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130 Canadiens soutiennent des groupes extrémistes à l’étranger, selon le SCRS
Le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Michel Coulombe, estime à environ 130 le nombre de Canadiens qui travaillent à soutenir des activités de groupes extrémistes, dont une trentaine uniquement en Syrie.
M. Coulombe a indiqué à un comité sénatorial, lundi, qu’au nombre des activités de ces individus, on compte des opérations paramilitaires, des formations en maniement d’armes et d’explosifs, le financement d’activités terroristes, du soutien logistique et des séjours d’étude dans des écoles associées à des groupes extrémistes.
Récemment, les activités de deux Canadiens tués en Syrie ont fait les manchettes.
Le directeur du SCRS soutient que plusieurs de ces individus ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs et décident de revenir au pays, ce qui peut constituer une menace pour le Canada.
Michel Coulombe a assuré que son organisation surveillait de près ces individus, mais que les enquêtes comportent plusieurs défis, ce qui peut provoquer des failles dans les opérations de surveillance.
M. Coulombe ajoute que le nombre de Canadiens à l’extérieur du pays est en fluctuation constante et qu’il est difficile de savoir exactement leurs motivations lorsqu’ils sont en déplacement hors des frontières canadiennes.
Il est encore plus difficile de suivre les mouvements de ces individus lorsqu’ils se trouvent dans des secteurs isolés du globe, dit-il.
D’autres pays font face à cette difficile réalité et M. Coulombe insiste sur le fait que les citoyens proches de groupes extrémistes est une problématique qui ne comporte pas de solution facile.
La Presse canadienne
SURVEILLANCE DE VOYAGEURS
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