Lettre à la nouvelle ministre de l’Immigration

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Un message dans une bouteille à la mer a plus de chances de tomber entre bonnes mains que cette lettre

Madame Weil,
Vous êtes redevenue cette semaine ministre de l’Immigration. J’imagine que vous en êtes très heureuse et je vous en félicite. On dit souvent que ce ministère est « petit », mais il a une place beaucoup plus importante que certains le pensent pour l’avenir du Québec. Il s’y prendra beaucoup de décisions dans les prochaines années et plusieurs débats de société y seront associés. Un mot sur le nouveau nom de votre ministère, qui annonce les couleurs de votre gouvernement : le Ministère de l’Immigration, de la diversité et de l’inclusion. J’en conclus donc que vous êtes la ministre du MIDI. Je ne sais pas qui a pensé à « de la diversité et de l’inclusion », mais il ne sait visiblement pas ce qu’est un pléonasme. Peut-être, aimez-vous la poésie des figures de style, mais le changement d’appellation envoie un message troublant et des accusations gratuites à l’égard de plusieurs personnes qui vous ont précédé, comme quoi elles auraient prôné l’exclusion et l’uniformité.
J’approuvais les valeurs et les projets du gouvernement précédent et je suis à des millénaires de prôner l’isolement des nouveaux arrivants. En tant qu’enseignante en francisation et intervenante en première ligne sur le terrain de l’immigration, je peux vous dire que mon rôle en est un d’inclusion : inclure les nouveaux arrivants à la société québécoise, à la langue française, au marché du travail. Mes valeurs excluent aussi l’exclusion. Mon objectif -ainsi que de ceux qui vous accusez de « fermés »- c’est qu’ils s’intègrent à la population. Qu’ils se sentent concernés par ce qui les entoure. Par nos réalités qui sont maintenant les leurs. Qu’ils deviennent des acteurs de premier plan de la société québécoise et non seulement des spectateurs, isolés dans leur communautarisme. J’enseigne le français et la culture québécoise aux immigrants quarante heures semaines, onze mois par année depuis sept ans. Les réalités de l’immigration sont mon quotidien. Mes premières préoccupations sont toujours au niveau de la francisation. En 2013, 43,9% de nos nouveaux arrivants n’avaient aucune connaissance de la langue française. J’estime qu’il est normal que plusieurs nouveaux arrivants n’aient pas de connaissances dans notre langue officielle, mais qu’il est de notre devoir de franciser tous ceux qui se joignent à nous de façon adéquate. Actuellement, j’ai quinze étudiants adultes dans ma classe. J’enseigne au niveau préalable, soit le stade « 0 », des étudiants à qui j’ai enseigné l’alphabet et les sons, avec tout mon coeur, ma patience, mes sourires et ma compréhension. Pouvez-vous croire que la moitié de ma classe habite au Québec depuis plus de dix ans et qu’ils sont dans ma classe ? Qu’ils ne disaient même pas « je m’appelle » il y a sept semaines ? Tout ça pour une seule raison : le Québec leur permet de se passer du français pour combler leurs besoins. Ils n’ont pas besoin de la langue pour évoluer ici.
Mes études de maîtrise portent justement sur les facteurs de motivations et de démotivations des immigrants allophones à apprendre le français à Montréal. Toutes les recherches tendent à prouver que la nécessité d’une langue ainsi que la volonté d’intégration à une communauté ou à un peuple tiennent un rôle primordial dans la motivation nécessaire à l’acquisition d’une langue seconde. Pourquoi vous parlais-je de science, de linguistique appliquée et de didactique des langues secondes ? Parce que je suis inquiète. Je ne suis pas une « prophétesse de malheur » ou une illuminée, je suis une fille rigoureuse dans mes réflexions linguistiques et je m’inquiète pour l’avenir du français au Québec, qui découle du choix qu’en feront ou pas nos nouveaux arrivants. S’ils ne sentent pas qu’apprendre le français leur sera utile, ils ne l’apprendront pas. D’ailleurs, près de 40% de nos nouveaux arrivants ne maîtrisant pas le français ne l’apprendront pas. Plus les années passent, plus j’ai crainte qu’ils n’augmentent. C’est vous maintenant, madame Weil, qui avez ce dossier entre les mains. Vous avez les pouvoirs de faire en sorte que les immigrants adultes apprennent le français. Bien sûr, leurs enfants apprendront, mais 80% de nos nouveaux arrivants sont majeurs et donc pas concernés par les mesures coercitives de francisation. Nous ne pouvons plus, en 2014, « sacrifier » des générations comme on le faisait quand ma mère et sa famille ont immigré d’Italie. Vous avez aussi le pouvoir d’augmenter l’allocation à laquelle les immigrants ont droit pour apprendre le français, de cette façon, l’apprentissage de la langue ne sera plus en concurrence avec le marché du travail. J’ai perdu, seulement pour cette session, le cinquième de mes étudiants pour cette raison, et c’est le reflet de pratiquement toutes les classes de francisation. Si l’effort demandé est trop grand pour ce qu’il rapporte, la motivation à apprendre une langue chute vertigineusement. Ce n’est pas moi qui l’invente.
Au niveau de l’État, toute une responsabilité aussi : plus le Québec projettera l’image d’une société francophone qui fonctionne en français, plus les nouveaux arrivants seront nombreux à choisir le français. Plus l’État se « bilinguisera » plus nous aurons de la difficulté à faire en sorte que nos immigrants s’orientent vers le français. À cet égard, votre gouvernement a envoyé un message fort contradictoire lorsque vous, ministre de l’Immigration, — donc modèle — ainsi que plusieurs de vos confrères avez prêté serment « en bilingue » à l’Assemblée nationale. Quel mauvais message vous avez envoyé aux nouveaux arrivants ! À moins que votre gouvernement veuille bilinguiser l’État et ainsi nuire considérablement à la motivation et à l’apprentissage du français chez les nouveaux québécois ? On ne peut pas dire que vous avez encouragé les nouveaux arrivants à apprendre le français à agir comme vous l’avez fait plus tôt cette semaine. Vous leur avez démontré que ce n’était pas nécessaire.
En tant qu’enseignante en francisation, je sais que l’apprentissage du français par les immigrants constitue un moyen de participer activement à la vie professionnelle, sociale, politique et culturelle du Québec. J’espère qu’en tant que ministre de l’immigration, vous le savez aussi.


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