Les événements contemporains dans le secteur de la construction au Québec ne sont qu’une répétition de l’histoire.
Photo : Agence Reuters Christinne Muschi
L'intérêt pour la corruption semble sans précédent au Québec. Cet engouement médiatique reflète-t-il une hausse réelle de la corruption dans notre province? Y aurait-il des raisons de s'inquiéter de la moralité dans nos administrations? Une relecture de l'histoire et une comparaison avec le reste du monde remettent les choses en perspective.
Récurrence historique
Les événements contemporains dans le secteur de la construction au Québec ne sont qu'une répétition de l'histoire. En 1975, on publiait le rapport de la commission Cliche, mise en branle sur la base de soupçons de violence et de détournements de fonds dans le secteur de la construction. A-t-il suffi d'une seule génération pour oublier ces leçons?
Les personnages ont changé de visage et de nom, mais les rôles sont les mêmes. À l'époque, c'était Yvon Duhamel, de la section locale 791, qui jouait le rôle de Rambo sur les chantiers du Nord québécois. Le «roi de la construction» se nommait André «Dédé» Desjardins, alors vice-président de la FTQ associé au crime organisé. Et les personnages mafieux portaient des noms comme Bertrand, Thériault, Mantha, Meloche.
Cette récurrence historique serait passée inaperçue sans le travail excellent de quelques journalistes qui insistent depuis des mois pour réveiller le public. Selon certaines recherches, il faut plusieurs générations pour se débarrasser d'une culture de corruption. Il faut surtout des moyens extraordinaires. Or, pour instaurer une culture de corruption, peut-être ne faut-il qu'un leadership cynique qui s'accroche assez longtemps au pouvoir?
Lorsque l'utilisation du pouvoir public pour un gain privé devient la norme, des individus malhonnêtes s'emploient à recenser les failles bureaucratiques pour servir leurs intérêts. L'arrestation de quelques malfrats envoie certainement un message dissuasif aux individus tentés par une entreprise malhonnête. Mais il y aura toujours d'irréductibles corrompus qui ne s'arrêteront pas devant une probabilité élevée de perdre leur salaire ou leur liberté, devant une pénalité et un taux de détection élevés. Il faut plutôt changer un système de règles faites pour être contournées.
D'ailleurs, «le système crapuleux et le climat d'immoralité» dénoncés par la commission Cliche sont toujours en place. Si les recommandations de l'époque ont eu un effet positif selon des études des années 80, force est d'admettre qu'il y a eu un relâchement de la surveillance dans un secteur enclin aux dérives.
Impacts de la corruption
La corruption est un des freins les plus importants à la croissance des pays en voie de développement. Par exemple, il a été démontré qu'en Ouganda, pour chaque dollar payé en pots-de-vin, la croissance d'une entreprise diminue en moyenne de 3 $. Il s'agit d'un cercle vicieux. La corruption limite la croissance économique, et la pauvreté engendre la corruption. De plus, la corruption se renforce d'elle-même. Lorsqu'une société ne punit pas des actes de corruption, les individus malhonnêtes s'enhardissent et échangent alors des pots-de-vin plus élevés qu'auparavant.
Finalement, l'appât du gain détourne les gens des activités productives vers des activités de corruption. Au lieu d'utiliser leur talent pour générer de la richesse, ces individus s'emploient à la redistribuer. La corruption agit comme une taxe, à la différence que l'argent de la corruption n'est pas réinvesti socialement et disparaît à l'étranger ou en consommation de biens de luxe. Plus particulièrement, la concurrence pour les contrats de construction est inefficiente dans un contexte corrompu: ce n'est pas la taille d'un pot-de-vin qui devrait départager les entrepreneurs, mais bien leur compétence.
Évaluer les coûts
Comme la corruption est une activité illégale, il est difficile de mesurer les pertes qui en découlent pour la société. Certaines études démontrent que la corruption a un effet négatif sur le développement économique, sur la base d'index comme celui de Transparency International (le dernier rapport, tout juste publié, place le Canada 6e sur les 28 pays les moins corrompus). Or, ce type d'index est construit à partir de perceptions d'individus — généralement des hommes d'affaires. Nombre d'influences subjectives (niveau de vie, prix des matières premières, etc.) affectent ce classement.
Des efforts sont aussi effectués pour évaluer l'impact de la corruption de façon objective. Les chercheurs doivent alors être aussi rusés que les criminels. Par exemple, Benjamin Olken, un chercheur de l'Université Harvard, a évalué les détournements de fonds lors de la réfection des routes en Indonésie. Il a comparé les factures officielles fournies par les représentants municipaux à des estimations effectuées par des ingénieurs indépendants. Ceux-ci ont prélevé des échantillons de routes, à la manière des géologues qui prélèvent des carottes de roc ou de glace, pour évaluer la quantité de matériel réellement utilisée. Au minimum, 20 % des dépenses auraient été falsifiées.
La corruption au Québec
On peut catégoriser la corruption selon différentes taxonomies. De manière grossière, disons qu'il en existe deux types. Premièrement, la petite corruption: une corruption bureaucratique pour obtenir des pots-de-vin contre des services publics accélérés. Par exemple, un chauffeur de taxi à Abidjan ou Bamako doit s'arrêter aux nombreux barrages sur la route pour payer une «bière» aux policiers. Ce type de harcèlement tiers-mondiste, on le retrouve dans les banques, les ministères, et les organismes des pays où l'État paye mal ses employés.
Deuxièmement, il y a la grande corruption, celle où des contrats sont octroyés à des firmes en échange de pots-de-vin ou d'un financement de parti politique. On retrouve cette corruption dans tous les pays. Toutefois, beaucoup plus d'études portent sur la corruption dans les pays pauvres. Parce qu'elle affecte plus particulièrement leur développement. Et parce que les pays développés sont dotés d'institutions pour lutter contre la corruption.
Quelques moyens de lutte
Pour prévenir la corruption, un leadership éthique met la table pour les autres individus de la société. Puis, il faut que la structure des incitatifs (amendes, salaire, détection, etc.) dans les institutions fasse de la corruption une activité de haut risque à faible rendement.
La liberté de presse et la liberté d'expression sont des chiens de garde importants. Nous l'avons constaté récemment. Sans les efforts des journalistes d'enquête, nous serions encore sous l'effet de notre apathie face à une situation qui dégénère au rythme de nos infrastructures.
Lorsque des actes ont déjà été commis, il faut des entités anticorruption (UPAC, commission d'enquête publique) qui ont les moyens pour déceler et punir les malfaiteurs. Et dans un cas d'infiltration par le crime organisé, il s'agit d'utiliser les outils adéquats: délateurs, offres de protection contre témoignages, rumeurs, etc.
Nous pouvons aussi reprendre à notre compte certains succès des pays pauvres. Pourquoi ne pas prélever des carottes de routes pour entretenir le flambeau de notre vigilance intergénérationnelle? Nos nids-de-poule ne trouveraient-ils pas enfin leur raison d'être comme pièces à conviction dans la lutte contre la corruption?
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Jonathan Goyette - Professeur adjoint au département d'économie de l'Université de Sherbrooke
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Lutter contre la corruption et... l'oubli
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Professeur adjoint au département d'économie de l'Université de Sherbrooke
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