La légitimité des indépendants

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L’éditorialiste Jean-Pascal Beaupré (« Fausse représentation », La Presse, 5 décembre 2011) se demande si les députés qui siègent actuellement comme indépendants ont « la légitimité de représenter les électeurs de leur circonscription ». À cette question, il faut répondre : « Oui, certainement (sauf peut-être le cas très particulier qui est actuellement sub judice). »

La Loi sur l’Assemblée nationale édicte que le député « jouit d'une entière indépendance dans l'exercice de ses fonctions » (art. 43). Pour mieux éclairer nos lanternes, il faudrait peut-être amender cette loi en nous inspirant de l’article 38 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, texte si judicieusement cité dans le projet de réforme parlementaire déposé par le ministre Jacques Dupuis en juin 2004 : « Les députés du Bundestag allemand sont élus au suffrage universel, direct, libre, égal et secret. Ils sont les représentants de l’ensemble du peuple, ne sont liés ni par des mandats ni par des instructions et ne sont soumis qu’à leur conscience » (La réforme parlementaire, p. 18).
En droit québécois, comme le précisent Brun, Tremblay et Brouillet dans leur Droit constitutionnel (5e édition, p. 306), le député est « absolument libre, durant son mandat, d'agir selon ses seules convictions dans la poursuite du bien commun; il n'est jamais lié par les désirs de ses commettants ». Nul ne peut « essayer d'influencer le vote, l'opinion, le jugement ou l'action du député par fraude, menace ou par des pressions indues » (Loi sur l’Assemblée nationale, art. 55). Bien sûr, cet article ne met pas le député à l’abri de la discipline de parti mais ce n’est pas un objet, un numéro ou un robot, ni un soldat, et son chef a l’obligation de convaincre, non pas d’imposer. Le projet de réforme précité voulait alléger cette discipline « afin de permettre aux députés d’exercer leur mandat en tenant compte aussi: des attentes des électeurs de leur circonscription ou de l’ensemble des citoyens; de leurs propres convictions ou conclusions sur une question; des impératifs de leur conscience ».
Tels sont justement les motifs qui ont amené la plupart des députés indépendants d’hier et d’aujourd’hui sur les banquettes arrière et, malgré ce que peuvent en penser certains citoyens, ils n’ont pas pris leur décision de gaieté de cœur, « pour se faire remarquer », comme on l’entend parfois. Sauf exception, devenir indépendant est un choix très difficile qui marque souvent le début de la fin d’une carrière parlementaire.
« Ils ont été élus grâce au chef et au parti : qu’ils y restent loyaux ! », entend-on aussi. Il y a du vrai dans cette perception (les élus sont redevables au chef et au parti dans des proportions qu’il serait bien présomptueux d’évaluer), mais elle s’applique plutôt mal à la plupart des indépendants actuels. Les députés Caire et Picard ont été élus avec un chef qui avait leur loyauté mais qui a été remplacé au terme d’un congrès bizarre dont ils n’acceptent pas les résultats. Les dissidents du PQ ont, pour la plupart, fait défection après avoir vu leur parti appuyer une cause (le projet de loi 204) qui ne figurait pas à son programme et qui cadrait d’ailleurs assez mal avec sa philosophie. Si leur chef avait été plus souple sur la discipline, ils seraient peut-être encore sous sa houlette. Ils ont préféré suivre leurs convictions, eux, et siéger comme indépendants (tel que permis explicitement par le Règlement de l’Assemblée nationale), ce qui n’a visiblement pas provoqué de soulèvements dans leurs circonscriptions.
Au moment où un fort courant d’opinion remet en question la « ligne de parti » qui limite la liberté d’expression et impose la « discipline de vote », il est pour le moins étonnant de voir un éditorialiste proposer une mesure qui aurait pour effet d’enfermer définitivement les députés dans le corset partisan. Sur le plan éthique — où il veut nous amener — ce serait bien le bouquet si les députés qui votent, à visière levée, selon « les impératifs de leur conscience » étaient ostracisés sans appel alors que ceux qui renient leurs principes peuvent continuer de voter machinalement, peinards et incognito.

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Gaston Deschênes32 articles

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