Mon Grand-Père, au soir du 24 décembre, savait embellir sa carriole et, de ses mains, il plaçait une à une les briques chauffées sur lesquelles se déposeraient nos pieds, et le temps, disait-il, de traverser les quelques kilomètres à parcourir vers le perron de l'église, nous n'aurions pas froid.
Et ainsi nous partions, serrés les uns contre les autres, et mon Grand-Père nous parlait... du ciel, des étoiles et de son père qui, disait-il, lui avait sauvé la vie pendant la guerre alors que tous ses compagnons moururent dans une embuscade à une croisée des chemins.
J-Élias n'était pas particulièrement religieux ; il pensait cependant que croire en son père et à quelques-unes de ses paroles dont il se souvenait avait contribué à lui sauver la vie lors de cette guerre.
Lorsque le soir du 24 se présentait, c'est une grâce qu'il rendait à son propre père en préparant carriole, briques et cheval... délaissant cette nuit-là voiture et confort moderne auxquels d'ailleurs il n'était pas trop attaché le restant de l'année.
Nous nous en portions bien, portés étions-nous par une parole qu'il savait dire, et les pieds bien au chaud. Nous nous sentions riches de sa présence et de sa parole, parole se présentant pourtant en économie de mots et entrecoupée de silence.
***
Oh ! Grand-Père n'était ni le Père Noël, ni le Père Fouettard et... ni le Bon Dieu ! mais sa parole était là, habitée et habitante, de ces habits qui se reconnaissent d'une parole tenant sa lettre mais sachant la donner pour ce qu'elle représente : l'essence du rapport entre les humains qu'il ne fallait négliger.
Comment pouvons-nous nous permettre, disait-il, de trahir une parole ou d'en abuser à torts et à travers ?
Sait-on encore aujourd'hui ce qu'est la Parole ? Comme commissaire d'école, J-Élias parlait parfois de Parole aux enfants du village... et aux autres commissaires !
Je pense que ce Grand-Père aurait été un bon Chef de Parti, debout dans sa parole et tenant sa lettre, mais sachant entendre.
Voeux de Bonne Année 2012
S Caron