On le sait, notre système de santé est survolté, traversé de toutes parts par une atmosphère de morosité et de crises répétitives. Aucune action ne semble donner des résultats satisfaisants et durables. Nous faisons du surplace, encore confrontés à une pénurie de médecins de famille et d'infirmières, au problème de l’engorgement des salles d’urgence et à des délais inacceptables en chirurgie. Le Ministère de la santé et des services sociaux, les syndicats, les corporations de médecin ne parviennent pas à s’autodiscipliner et à se concerter pour trouver des solutions.
Année après année, on cherche des boucs émissaires comme les personnes aînées, on pointe du doigt les technologies médicales prohibitives et à efficacité limitée (les technologies dites halfway), sans oublier le prix des médicaments dont l'augmentation est effarante.
Certes, la part des médicaments d'ordonnance consacrée aux dépenses totales de santé a plus que doublé au Québec, passant de 8,3% en 1985 à 20,7% en 2008. Il est vrai également que les dépenses per capita, uniquement pour le secteur public, s'élevaient en dollars constants à 1600 $ en 1988, comparativement à 2500 $ en 2008, un accroissement significatif de 75% en 20 ans.
Comment expliquer pareille inflation des dépenses? Notre système public assuranciel, basé sur la gratuité des soins, a partiellement mené à ce gouffre sans fond, tout comme les techniques améliorées mais dispendieuses de dépistage des maladies, le recours à des traitements médicaux de pointe, la bureaucratisation à outrance et, à un degré moindre, le vieillissement démographique.
Notre réflexion demeure pourtant déficitaire, car nous n’osons pas incriminer nos comportements de prestataires. Au fil des années, nous avons relevé le défi de la santé par l'adoption de saines habitudes de vie. Globalement, certaines batailles ont été gagnées, comme la lutte contre le tabac et la promotion de l'activité physique, mais d'autres initiatives ont connu moins de succès, telles les campagnes contre la malbouffe. Ces efforts se sont traduits par l'implantation de nouvelles ressources sanitaires qui se sont soldées du même coup par la création de besoins nouveaux en santé.
Le virage ambulatoire, qui a conduit à des compressions budgétaires, à des fermetures d'hôpitaux, à la mise à pied d'infirmières et à des restructurations administratives, a certes bouleversé l'offre de services en santé, mais il n'a pas modifié pour autant nos habitudes ancrées d'usager hyperconsommateur.
En effet, la grande réforme sociosanitaire des années 60 a remplacé la notion de patient par celle de consommateurs de services. Depuis, nous nous conformons à cette image de "clients" à l'égard de notre système de santé. Étant donné que ce même système nous appartient collectivement, nous l'utilisons à fond et sans réserve, alléguant qu'il s'agit d'un droit acquis.
Nous nous prêtons volontiers au rituel de l'appareil médical, en consultant au moindre symptôme inquiétant, en sollicitant à répétition divers prélèvements, en réclamant des traitements ou des diagnostics coûteux, en plus d'exiger une panoplie de produits pharmaceutiques. Raisonnant en consommateurs avertis, nous n'hésitons pas à consulter un autre médecin en cas de doute sur un diagnostic. Et si par malheur nous devions un jour être victimes d'une erreur médicale, nous n'hésiterions pas à engager des poursuites et à réclamer des dédommagements pour les séquelles physiques, psychologiques ou pécuniaires subies.
Comme la plupart des médecins sont rémunérés à l'acte et qu'ils reconnaissent nos droits et privilèges de " clients-payeurs ", ils sont naturellement enclins à la complaisance, que ce soit en n'hésitant pas à prescrire parfois avec abus des médicaments, en encourageant la fréquence des consultations.
Mais ce n'est pas tout. Toute légitime soit-elle, notre aspiration à nous "sentir bien dans notre peau", à prolonger notre espérance de vie et à combattre la maladie renforce notre syndrome obsessionnel de la santé parfaite, pour reprendre l'expression d'Ivan Illich.
Dans une société qui a rompu avec l'idée d'une vie éternelle, entretenir son corps, l'ausculter et le réhabiliter à tout prix font plus que jamais l'objet d'une attention particulière. En témoignent les interventions en chirurgie plastique qui enregistrent une popularité accrue. C'est ainsi, comme le constatait Antoine Prost, que le corps s'impose comme " une fin en soi, le lieu même de l'identité personnelle ".
D'autres sentiers à emprunter
En préconisant la mécanique lourde et coûteuse de la prise en charge, en préférant les traitements médicaux à la prévention, nous nous sommes inconsciemment déresponsabilisés en regard de notre santé ce qui a entraîné l'élévation des dépenses que nous connaissons. Il apparaît clair qu'il faut freiner cette surenchère de services de soins, d'autant plus qu'elle ouvre la voie à la privatisation. S'il faut protéger la santé des individus, encore faut-il sécuriser la santé économique du système de santé!
Nous pouvons abandonner cette course effrénée à la santé parfaite en faisant fructifier notre capital-santé de manière plus engagée, préventive, responsable et soucieuse de l'intérêt collectif. Sans renoncer à la qualité de vie et au maintien d'une santé optimale, nous avons cependant avantage à encourager des initiatives capables de nous autonomiser comme individus vis-à-vis de notre santé, quel que soit notre âge.
Les ressources qui militent en ce sens se font plus nombreuses et diversifiées. Les coopératives de santé et les programmes axés sur l'entraide, l'information et l'autogestion de la santé constituent des avenues intéressantes à explorer à cet égard.
La machine médicale en péril
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
21 mars 2010Depuis plusieurs décennies, nous avons développé le culte du corps, car plus de Dieu et de dieux, l'Homme devient Dieu lui-même. Il doit se rapprocher de la beauté même de Dieu. Donc, il a droit à la vie éternelle comme Dieu.
Et rappelez-vous lorsque l'Église a demandé au célébrant, sous de faux prétextes, de dire la messe face à l'assistance. L'assistance devenait Dieu lui-même.
Et ceux qui ne croient en rien, sont sans doute des grands consommateurs de temps emprunté au temps qui ne cesse de filer inexorablement. Qu'on le veuille ou pas.
C'est une grave question existentielle... que connaît l'Homme depuis la nuit des temps.