Paris et Montréal, mêmes défis en éducation

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« Par exemple, le fait de maîtriser les savoirs fondamentaux, c’est éternellement le plus grand des progressismes. »


Enseignants à bout de souffle, élèves de milieux défavorisés à prendre par la main, frictions sur la laïcité… Des similitudes frappantes surgissent entre les systèmes éducatifs de la France et du Québec. À Paris comme à Montréal, de grandes réformes visent à renforcer l’école publique. Et des deux côtés de l’Atlantique, la priorité est donnée à l’intervention auprès des enfants d’âge préscolaire.


Le ministre français de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, est intarissable lorsqu’il parle de la mesure phare de sa loi pour une « école de la confiance » : la maternelle à 3 ans obligatoire pour tous. Il est aussi enthousiaste que son homologue du Québec, Jean-François Roberge, quand celui-ci s’exprime sur la maternelle 4 ans qui sera graduellement offerte à tous les petits Québécois — sans devenir obligatoire.


« Je pense qu’il est bon que les enfants aillent à l’école assez tôt. C’est pour ça qu’on prend des directions communes en France et au Québec », dit Jean-Michel Blanquer, joint à Paris en prévision de sa visite de deux jours à Montréal, jeudi et vendredi.


Le ministre prendra part vendredi à une discussion sur la maternelle (en compagnie de l’ancienne première ministre Pauline Marois, créatrice des centres de la petite enfance) dans le cadre du Monde Festival, organisé avec Le Devoir. Il sera aussi l’invité d’honneur ce jeudi d’une causerie sur le thème de l’éducation avec son vis-à-vis québécois, organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).


« L’école maternelle est un moment essentiel pour tout enfant. On sait très bien que ce sont dans les premières années de la vie que se jouent beaucoup d’enjeux, notamment autour du langage. La première des inégalités qui existe entre les enfants, et qu’on peut constater malheureusement assez tôt ans la vie, c’est les écarts de richesse de vocabulaire entre les enfants selon leur origine familiale », explique Jean-Michel Blanquer.


Vent de réformes


Depuis qu’il a été nommé ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, en 2017, cet enseignant et directeur d’établissement s’est lancé dans une série de réformes : instruction obligatoire à 3 ans, valorisation de la profession enseignante, réforme du lycée pour mettre en valeur l’art de débattre, et accent sur les savoirs fondamentaux — lire, écrire, compter et respecter autrui. Certains l’ont qualifié de conservateur pour son insistance sur les valeurs fondamentales, mais ce « républicain progressiste » refuse les étiquettes.


« Je pense qu’il y a des choses qui sont éternelles en éducation, dit-il. Par exemple, le fait de maîtriser les savoirs fondamentaux, c’est éternellement le plus grand des progressismes. C’est cela qui permet la vraie égalité des chances. Si on ne s’assure pas de cela, on augmente les inégalités, et c’est malheureusement ce qui est arrivé dans beaucoup de pays comme le nôtre. Il y a un affaiblissement de la maîtrise des savoirs fondamentaux, et dans ces cas-là, les premières victimes sont les enfants des milieux défavorisés. »



Notre objectif est de dignifier la fonction professorale. Je pense que, dans nos sociétés du XXIe siècle, nous avons besoin de repositionner le professeur au centre de la société, comme ça a pu être le cas à d’autres moments de notre histoire.




Comme au Québec, le soutien aux enfants défavorisés fait partie des défis de l’école publique. Le ministre Blanquer a abaissé de façon draconienne — de 24 à 12 — le nombre d’élèves par classe dans les milieux les plus défavorisés ; 300 000 enfants ont un meilleur encadrement grâce à cette mesure.


Le ministre français débarque au Québec en évitant soigneusement de s’aventurer sur le terrain miné du débat entre les CPE (qui sont plus que des garderies, grâce à leur programme éducatif) et la maternelle 4 ans. « Ce qui compte, c’est qu’on ait une structure qui accueille les enfants tôt, et autant que possible que tous les enfants y aillent, et que cette structure soit épanouissante », résume-t-il.


Profession mal aimée


L’autre cheval de bataille du ministre Blanquer est d’améliorer la formation et les conditions de travail des enseignants pour valoriser cette profession mal aimée — en France comme ici. Sa loi pour une « école de la confiance » inscrit même en toutes lettres le « devoir d’exemplarité » des professeurs et le respect dû aux maîtres d’école.


« Notre objectif est de dignifier la fonction professorale. Je pense que, dans nos sociétés du XXIe siècle, nous avons besoin de repositionner le professeur au centre de la société, comme ça a pu être le cas à d’autres moments de notre histoire. On rentre dans une société de plus en plus technologique, on a besoin de plus en plus d’humanité, et cette humanité vient d’abord et avant tout par les professeurs replacés au centre de notre société. »


Le ministre s’est engagé à augmenter la rémunération des enseignants, qui se trouve sous la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un mouvement des « stylos rouges » (après celui des gilets jaunes) a même pris naissance pour porter la voix des enseignants en colère. L’allègement de la tâche des directions d’école fait aussi partie des priorités, surtout depuis le drame ayant secoué une école de la banlieue parisienne, le mois dernier : une directrice, Christine Renon, s’est suicidée dans son école. Elle a dénoncé ses conditions de travail et son épuisement dans une lettre trouvée sur les lieux.


« Il faut qu’on allège les tâches administratives des directeurs d’école, convient Jean-Michel Blanquer. Il y a en effet des progrès à faire. J’ai accéléré le processus en lien avec ce drame, parce qu’à juste titre il y a une grande émotion autour de cet événement. »


Voile et laïcité


Il a dû affronter au cours des derniers jours une autre tempête qui semblera familière aux Québécois. La présence d’une mère musulmane voilée, qui accompagnait les élèves lors d’une sortie scolaire, a provoqué une controverse. La laïcité de la République interdit le port de signes religieux ostentatoires par les élèves et les enseignants, mais les accompagnatrices bénévoles peuvent porter le hidjab en toute légalité.


« Je plaide pour une laïcité claire et nette, qui est synonyme d’une neutralité politique et religieuse dans la vie scolaire, explique le ministre Blanquer. Le cas des sorties scolaires est un peu hybride, parce que ça se passe en dehors de l’école, mais c’est encore du temps scolaire. Je me suis positionné sur cette question en disant qu’il n’y avait pas une loi nécessaire pour l’interdire, parce que je la considérerais plutôt contre-productive. Par contre, nous ne souhaitons pas le développement d’une loi. Nous respectons évidemment toutes les religions. »




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