DES IDÉES EN REVUES

Perdre le Nord

Bf12c869185fcb4a6a08595f0cfd7072

À trop vouloir «faire le Nord», on risque de le perdre

Le 28 avril 1947, devant un hiver qui n’en finissait plus de finir, le député provincial René Chaloult affirma qu’« il serait peut-être souhaitable de réchauffer notre climat ». Il exposa pour ce faire une théorie développée par le commandant Lucien Beaugé, de l’École des pêcheries de Sainte-Anne-de-la-Pocatière : « D’après ce dernier, il serait possible de prolonger l’été canadien de deux mois, soit un mois au commencement, au printemps, et un mois à la fin, à l’automne, en fermant le détroit de Belle-Isle. À cause de la rotation de la Terre, les glaces qui descendent des régions arctiques ont tendance à y entrer et nous avons des eaux glacées dans le golfe douze mois par année. »

Cette proposition ferait sourire si elle n’était pas aussi conforme au rapport que la modernité occidentale entretient avec ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « l’environnement ». Non seulement nous avons domestiqué la nature, mais nous l’avons carrément chassée de la plupart des lieux que nous habitons pour nous y sentir plus à l’aise. De nos jours, lorsqu’un dindon sauvage s’aventure dans les rues de la métropole, les journalistes y trouvent matière à nouvelle. Il y a ainsi sur un territoire comme le Québec des lieux pour dormir et travailler, des lieux à exploiter, et une poignée de lieux pour contempler ce qui n’a pas encore été totalement assujetti à notre volonté conquérante.

Mai 2011, le premier ministre du Québec s’adresse à la population : « Le Plan Nord a pour but de mettre en valeur le potentiel minier, énergétique, social, culturel et touristique du territoire québécois situé au nord du 49e parallèle. » Le monsieur voit grand : « Il y a au nord du 49e parallèle un espace pour créer l’avenir. J’invite les Québécois à participer au chantier d’une génération, et à faire le Nord ensemble ».Comme si le Nord québécois n’existait pas encore vraiment, Jean Charest nous présentait les plans et devis qui allaient enfin lui donner naissance.

L’horreur du vide

Ce territoire n’existe pas, car les ressources naturelles n’ont, du point de vue de l’économie capitaliste, de valeur qu’une fois transformées en marchandises destinées à l’échange. Tant que les rivières n’ont pas été aménagées, tant que le minerai n’a pas été extrait, tant que les arbres n’ont pas été abattus, tant que ces éléments n’ont pas été saisis par le mouvement de la valorisation, il ne peut exister aucune richesse, car ici la richesse ne se mesure ni en maturité des arbres, ni en diversité de poissons, ni en pureté de l’air, mais toujours en espèces sonnantes et trébuchantes. La nature a horreur du vide, dit-on, or la logique du capital, en faisant le vide autour de soi, montre pour sa part toute l’horreur que lui inspire la nature.

« Le nord du Québec est un des derniers grands territoires vierges du monde. C’est aussi un territoire fragile, c’est un territoire d’une grande richesse. Il est aussi une responsabilité, c’est pourquoi nous devons le protéger et le mettre en valeur de façon durable. » La promesse d’un développement durable permet de soulager notre conscience dans un contexte où n’existe pas la possibilité de ne pas exploiter.

Si elle subsistait, cette option constituerait un frein à l’extension du processus de valorisation. La rationalité capitaliste doit alors absolument, pour étendre son emprise sur le monde que nous habitons, verrouiller le processus politique et faire fi de la volonté qui pourrait décider qu’un paysage, un marais ou une espèce méritent d’être protégés. Autrement dit, toute discussion devient futile dès lors qu’il n’existe qu’une seule option. C’est pourquoi il n’y a jamais eu d’espace pour discuter du bien-fondé du projet du Plan Nord, de la même manière qu’il n’y a pas de moment prévu pour s’interroger sur la pertinence d’extraire du pétrole de l’île d’Anticosti ou de la péninsule gaspésienne. Son projet aussitôt dévoilé, le premier ministre nous apprenait d’ailleurs que celui-ci faisait l’objet d’un consensus.

> Lire la suite de l'article sur Le Devoir


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->