Elle véhicule bien mal son message, mais la Fédération des femmes du Québec n'articule que le gros bon sens lorsqu'elle affirme qu'il ne faut pas interdire le port des signes religieux dans les services publics québécois. Notre tolérance actuelle a bien meilleur goût que la dramatisation.
Encore le hidjab? Le voile n'était-il pas tiré, justement, sur cette sempiternelle question de l'affichage des signes religieux dans la fonction publique? Depuis l'épilogue Bouchard-Taylor, un calme plus qu'apparent régnait dans la sphère publique, jusqu'à ce que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) achève sa réflexion.
Il lui en a fallu du temps pour conclure! C'est que la question divisait les troupes. La preuve? Il y a un an et demi à peine, dans une controverse similaire, le Conseil du statut de la femme a suggéré e-xac-te-ment le contraire, proposant qu'on empêche les agents de l'État d'arborer au travail des signes religieux ostentatoires. Pour le Conseil, pas question que le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes ne s'efface devant la liberté de religion.
Le Devoir, invoquant l'épreuve du réel, avait dénoncé à l'époque cette prise de position. Pour goûter la parfaite neutralité des fonctionnaires, il faudrait exclure le niqab (voile masquant tout le visage hormis les yeux), le hidjab, mais aussi le turban (qu'un jugement de la Cour fédérale a autorisé pour la GRC en 1995), la kippa et la croix? Quel casse-tête insoluble que de seulement élaborer cette loi! Sans compter le test des tribunaux: une interdiction globale, soumise à l'ensemble des employés de l'État, résisterait-elle à la poursuite d'un seul individu quant au respect de sa liberté de conscience et de religion?
La FFQ s'appuie sur un argument de taille, qu'on aurait tort de dénigrer: celui de l'intégration sur le marché du travail. Il n'émeut plus personne, on dirait, alors qu'il a pourtant fait les beaux jours de la commission Bouchard-Taylor. Les femmes immigrantes présentent un taux de chômage trois fois supérieur à l'ensemble des Québécoises, voilà la réalité! Un fond d'islamophobie envenime la situation pour les musulmanes, encore davantage pour celles qui portent le foulard. Un interdit officiel contribuerait à les exclure davantage, les confinant au ghetto.
Pour certains, cette logique a une odeur d'asservissement au dogme religieux, si longtemps combattu. Pour d'autres, elle reflète la mollesse des groupes féministes. La FFQ ne défend en réalité que les musulmanes qui portent le voile. Ces femmes comptent pour 1 % de la population, dont le cinquième seraient voilées. Là-dessus, combien sont embauchées par l'État? Force est d'admettre qu'on souffle une tempête inutile pour un groupuscule qui est déjà tout à fait en droit de porter le hidjab au boulot, sans que cela ait apparemment causé d'embrouilles.
C'est un peu comme si la FFQ n'avait pas le droit d'avancer sur ce délicat terrain. Sa sortie publique de la fin de semaine était pourtant composée de deux actes, dont l'un a été entièrement gommé par l'autre. La tolérance aux signes religieux dans la fonction publique a choqué. Mais cette ouverture était précédée d'un refus sans appel de l'obligation imposée aux femmes de porter des signes religieux. Apparemment, on a oublié cette partie du discours. La Fédération, il faut le dire, ne gagnerait pas tous les prix de communication.
À côté de son message équivoque, quelle voix percutante que celle de Djemila Benhabib! La Québécoise d'origine algérienne, auteure de Ma vie à contre-Coran, a sitôt accusé la FFQ de «trahir le combat des femmes». Sa dénonciation est chargée d'une émotion légitime: elle a vécu la montée de l'islamisme en Algérie, et s'inquiète de sentir une fièvre intégriste et le prosélytisme de certains groupes musulmans ici-bas.
Son cri du coeur n'est malheureusement pas désincarné: elle brandit avec à-propos la liste des femmes assassinées pour avoir refusé de porter le voile islamique. La semaine dernière démarrait à Ottawa le procès d'un Canadien de 23 ans d'origine afghane accusé d'avoir tué sa soeur car elle s'était fiancée sans l'autorisation paternelle, un réel «crime d'honneur». Une telle horreur, si près de chez vous! On peut toutefois s'indigner de ce spectacle sans appeler à la rédaction de nouvelles lois.
Dans la zone civile, il faut s'inquiéter de toute montée intégriste, et être aux aguets. Savoir aussi que le voile est bel et bien -- ici et ailleurs -- associé à un symbole de soumission, qu'il faut vigoureusement dénoncer. Comprendre du même souffle qu'il ne suffit pas d'abolir tout bonnement le symbole pour effacer le message qu'il véhicule. L'égalité des femmes passe aussi par leur intégration à la société, quelles qu'elles soient.
machouinard@ledevoir.com
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