Pour éviter que la politique ne mène à l’absurde

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La manière la plus responsable de planifier l’avenir énergétique du Québec et de Terre-Neuve dans le meilleur intérêt des deux, {{sans}} l’intervention du fédéral

L'annonce improvisée du 30 novembre dernier par le premier ministre du Canada concernant une garantie de prêt sur 6,3 des 7,4 milliards de dollars pour le projet Muskrat Falls au Labrador n’était qu’un écran de fumée pour faire oublier les problèmes du député du coin, Peter Penashue.
Celui-ci est aux prises avec des accusations de dépassements de dépenses électorales et d’allégations d’interventions dans l’octroi de contrats reliés à Muskrat Falls. Comment expliquer autrement le fait que la première ministre de Terre-Neuve, Kathy Dunderdale, ignorait jusqu’à la veille la raison de la visite de Stephen Harper au Labrador ?
Mais il y a plus. La garantie de prêt qui ferait économiser 1 milliard de dollars en frais d’intérêts sur 30 ou 35 ans, et qui a fait bondir les élus québécois, n’est en fait qu’une lettre d’intention. La leader néodémocrate de Terre-Neuve, Lorraine Michael, a d’ailleurs qualifié cette annonce de crazy farce. Aucun texte juridique soutenant cette entente n’existe ni entre le fédéral et la province, ni entre Nalcor et Emera, qui, selon la lettre d’intention, a jusqu’en juillet 2014 pour s'engager.

Muskrat Falls, c’est un projet de 824 MW dont une partie de la production, 170 MW, serait acheminée en Nouvelle-Écosse par des lignes sous-marines de 180 km à construire à un coût estimatif de 1,4 milliard par Emera, société privée de Nouvelle-Écosse. À Terre-Neuve, Nalcor construirait les barrages et la centrale ainsi que les lignes à un coût estimé de 6,2 milliards, l’équivalent du budget annuel du gouvernement.

On sait depuis des décennies que la seule façon rentable de développer les ressources du Bas-Churchill, qui incluent un potentiel de 2250 MW au site de Gull Island en plus des 824 MW de Muskrat Falls, est d’acheminer l’électricité par le Québec, là où un marché réel et des liens avec les marchés d’exportation de la Nouvelle-Angleterre, de New York et surtout de l’Ontario existent déjà.
Prétendre, comme le font les premiers ministres de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse, que Muskrat Falls avec de l’électricité à 15 ¢ le kilowatt-heure assurera un accès au marché du Nord-Est américain c’est rêver en couleurs. Hydro-Québec peine à y obtenir 5 ¢.

Heureusement, ceux qui ont analysé le projet autrement que sous l’angle politique tracent une voie plus sensée.

Ainsi, en août 2011, la Commission d’examen fédérale-provinciale chargée d’évaluer le projet hydroélectrique du Bas-Churchill a conclu que Nalcor n’avait pas démontré la justification du projet dans son ensemble des points de vue énergétiques et économiques. De là à dire que le projet a été bâclé par Nalcor ou qu’il avait été politiquement piloté, il n’y a qu’un pas.

Dans son rapport, la Commission formule deux recommandations qui interpellent le Québec :

1— Qu’une analyse indépendante sur les moyens de satisfaire la demande intérieure au moindre coût jusqu’en 2067 soit faite en prenant en considération la disponibilité, à partir de 2041, du bloc important d’électricité qui deviendra disponible à Churchill Falls.
2 — Que le gouvernement de Terre-Neuve et Labrador et Nalcor envisagent d’utiliser la planification intégrée des ressources afin d’examiner simultanément les solutions du côté de l’offre comme de la demande ainsi que différentes options d’utilisation des ressources sur le moyen et le long terme.

La planification intégrée des ressources
La politique énergétique du Québec produite dans la foulée du Débat public sur l’énergie, en 1995, retenait la recommandation de la Table de consultation de recourir à la planification intégrée des ressources (PIR) comme méthode de planification énergétique.

Cette orientation a été abandonnée dans la stratégie énergétique du Québec 2006-2015, dans laquelle les décisions de construire de nouvelles capacités de production ont été prises sans véritable évaluation des diverses options et des enjeux reliés à chacune. Un exemple est l’ajout de 4500 MW d’hydroélectrique sur la période 2006-2015 alors que la demande intérieure ne le justifiait nullement. Le Québec se retrouve aujourd’hui en situation de surplus jusqu’en 2020.

En règle générale, la PIR est appliquée par une société d’électricité en considérant les enjeux propres à la juridiction dans laquelle elle opère. Hydro-Québec, par exemple, si elle entreprenait un tel exercice, tenterait de trouver les meilleurs moyens de fournir les services énergétiques à la clientèle québécoise aux meilleurs coûts économiques, environnementaux, sociaux, etc. Nalcor ferait de même pour sa clientèle.

Dans le cas qui nous occupe cependant, les deux provinces ont des intérêts dans toute la production actuelle et éventuelle du fleuve Churchill. En 2041, Hydro-Québec devra avoir renégocié le contrat de Churchill Falls ou trouvé un substitut. Terre-Neuve, de son côté, voudra obtenir le meilleur prix possible pour cette ressource.

Cependant, on l’a vu avec la décision de la Commission, Terre-Neuve ne pourra jamais transporter autant d’énergie hors Labrador et trouver des clients et, sans que la Commission y fasse directement référence, la participation du Québec, étant donné la géographie, est inévitable. Transporter quelque 8000 MW du Labrador vers l’île de Terre-Neuve et quelque 7000 MW de l’île vers la Nouvelle-Écosse et la Nouvelle-Angleterre est impensable si ce n’est que pour ce qui est des coûts, avec ou sans la participation du gouvernement fédéral.
Bref, Terre-Neuve et Québec sont condamnés à s’entendre. Pour cela, il faut dépolitiser le débat, car on imagine mal le gouvernement de Terre-Neuve, qui s’est employé ces dernières années à casser du sucre sur le dos du Québec et d’Hydro-Québec, inviter le Québec à négocier, malgré les appels du pied faits ces derniers jours par le Québec.

Une approche osée et novatrice
Alors, pourquoi ne pas entreprendre un exercice de PIR conjoint Terre-Neuve–Québec en considérant les territoires de Terre-Neuve et Labrador et du Québec comme une seule région et rechercher la solution optimale pour les deux provinces prises ensemble.
Un organisme apolitique serait chargé de mener l’exercice selon les règles de l’art en matière de planification intégrée des ressources. Les inévitables négociations politiques qui s’ensuivraient pourraient au moins avoir des assises solides plutôt que de vieilles chicanes.

Il s’agit de la manière la plus responsable de planifier l’avenir énergétique du Québec et de Terre-Neuve dans le meilleur intérêt des deux provinces, et l’intervention du fédéral.

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Denis L'Homme2 articles

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Directeur général des énergies conventionnelles de 1979 à 1985 et sous-ministre associé à l'Énergie au ministère des Ressources naturelles de 1992 à 1995





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