Pourquoi vouloir toujours démolir le patrimoine?

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La destruction du patrimoine cache mal notre mépris collectif pour notre histoire


Deux projets de démolition de bâtiments du XIXe siècle attirent l’attention ces derniers temps. Ils constituent des exemples probants de la banalisation croissante de nos milieux de vie et du manque de vision des autorités municipales auxquelles on a pourtant confié, dans une large mesure, la protection de ce bien commun.


Les yeux se tournent à nouveau du côté de Chambly, comme si cette municipalité n’avait pas avantage à faire oublier sa bévue que fut la démolition de la maison du patriote Boileau. À Chambly, il est encore question de démolition, cette fois de l’ancien marché public datant de 1849. Celui-ci a depuis été transformé en caserne de pompiers, puis en résidence. Il est aujourd’hui difficilement reconnaissable. Pourtant, son architecture, qui garde des traces de chacune de ses vies, est fascinante lorsqu’on en connaît la riche histoire.


Ensuite, il faut regarder du côté du carré Saint-Jean-Baptiste à Beloeil. On y prévoit rien de moins que la démolition de tous les bâtiments du quadrilatère formé des rues Saint-Jean-Baptiste, Saint-Joseph, Saint-Matthieu et Dupré. Sept des bâtiments de cet ensemble ont été érigés entre 1865 et 1920. Ce quadrilatère est en fait en plein coeur de l’ancien quartier industriel de Beloeil, constitué au XIXe siècle.


Il s’agit dans les deux cas de ce que l’on qualifie souvent avec mépris de petit patrimoine. Celui du monde populaire, celui qui est le moins reconnaissable parce que ne bénéficiant presque jamais de protection, celui qui est souvent détruit au fil des décennies.


Pourtant, le patrimoine n’est pas seulement constitué de bâtiments qui ont un statut en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. C’est aussi le tissu urbain et villageois qui comprend le bâti, le tracé des rues, l’organisation spatiale, les perspectives, le paysage.


C’est tout cela que les villes doivent prendre en compte quand elles étudient des projets. Or, ces deux projets, exemplaires de ce qu’il faudrait enfin arrêter de faire, nous forcent à réfléchir sur la façon dont les villes québécoises encadrent la démolition, le développement et la densification de leur tissu urbain.


Table rase


Le projet du carré Saint-Jean-Baptiste dit s’intégrer à son environnement. On propose dans les faits un projet fermé sur lui-même qui, plutôt que de miser sur le potentiel de ce qui est déjà sur le site, propose d’en faire table rase.


Cela n’est pas du tout en accord avec le principe de développement durable dont les municipalités se gargarisent volontiers. De plus, on propose un projet dont le langage architectural est en complète rupture avec son milieu. On ne parle pas seulement ici de la volumétrie et du traitement architectural, mais également du mode d’implantation.


On dirait que les promoteurs n’ont en fait aucune compréhension des caractéristiques essentielles de cette ville. Et la ville, au lieu de viser l’excellence pour assurer son avenir, se contente ni plus ni moins que du premier projet venu. C’est donc, là comme ailleurs, le promoteur qui dicte le mode de développement de la ville.


Il aurait pourtant été possible de densifier intelligemment ce quadrilatère, qui a d’ailleurs déjà été plus dense. Cela n’impliquait pas qu’on passe à la trappe son histoire ainsi que la majeure partie de ce qui lui donnait vie.


Pourquoi toujours vouloir tout démolir ? Les meilleurs projets sont pourtant le résultat de contraintes qui se sont transformées en occasions. Les projets exemplaires sont ceux qui réussissent à faire ressortir les caractéristiques des milieux dans lesquels ils s’insèrent. Les architectes et les urbanistes ont beaucoup d’imagination lorsqu’on les met au défi. Utilisons-les.


Quant à Chambly, où se trouve le gain pour les citoyens de voir un bâtiment empreint d’histoire civique être remplacé par deux maisons unifamiliales ordinaires ? Encore une fois, la Ville devrait avoir le courage d’en interdire la démolition et d’en favoriser la mise en valeur. Elle a déjà beaucoup à se faire pardonner. Elle devrait y penser.


Banalisation


De tels projets, vides de sens, on en trouve hélas un peu partout sur le territoire québécois. Bien souvent, le traitement architectural est le même de ville en ville, ce qui en souligne l’extrême banalité, au point de faire peu à peu disparaître les éléments les plus significatifs de l’espace architectural.


Par le biais d’une fiscalité favorisant la démolition, le promoteur peut facilement faire ses frais. Mais c’est toute la société qui paie les conséquences environnementales de ces cicatrices que nous produisons désormais en série au milieu de nos vies.


Avec la connaissance que l’on a des changements climatiques, de la pollution générée par les déchets, de la quantité d’énergie nécessaire pour fabriquer des matériaux de construction, on ne peut plus gaspiller impunément des bâtiments déjà construits, tout comme on ne peut plus gaspiller impunément des terres agricoles, des milieux humides, des espaces boisés.


On devrait commencer par faire vivre nos coeurs de villes et de villages en entretenant, en préservant et en recyclant le bâti existant. À quand une politique nationale d’aménagement du territoire qui prend en compte le patrimoine bâti et paysager québécois ?




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