Les chiffres sont sans équivoque. Le 26 mars dernier, jour d'élection au Québec, 30 députés à peine sur 125 ont été élus par la majorité des électeurs de leur circonscription, soit 24 %. À l'inverse, les trois quarts des candidats ont obtenu leur ticket d'entrée à l'Assemblée nationale contre la volonté unanime des habitants de leur comté qui, dans une proportion de 50 % et plus, si l'on additionne le résultat des votes, auraient aimer envoyer à Québec un autre parti et un autre visage.
Le mode de scrutin uninominal à un tour, en vigueur au Canada et au Québec depuis longtemps, ne semble visiblement pas au point pour transmettre correctement la parole des électeurs aux élus. Mais l'idée d'une réforme, dans l'air du temps depuis plus de 20 ans, pourrait bien compter désormais sur des «conditions gagnantes» pour voir le jour... même si le cadre de la réforme et sa mise en application ne font pas encore consensus.
«Cette révision en profondeur est inévitable», a déclaré hier lors d'un entretien au Devoir André Larocque, vice-président du Parti vert du Québec (PVQ), mais aussi ancien sous-ministre, dans le temps, responsable de la «Réforme électorale et parlementaire» sous René Lévesque. «Et nous en sommes peut-être aujourd'hui plus proches que nous le pensons.»
L'homme est optimiste. Le gouvernement actuel, formé par le Parti libéral du Québec (PLQ), est en effet «celui qui est allé le plus loin dans sa volonté de revoir le mode de scrutin», dit-il. Lors de son dernier mandat, en effet, l'équipe de Jean Charest a déposé un avant-projet de loi pour remplacer l'actuelle Loi électorale, mais aussi pour faire souffler un vent de proportionnelle sur les urnes lors d'un prochain scrutin, en s'inspirant de l'Écosse où 60 % des députés sont choisis par un mode uninominal et 40 % par mode proportionnel.
Ce système électoral permettrait alors une représentation des députés à l'Assemblée guidée par les voix obtenues par leur parti, plutôt que par le nombre de circonscriptions décrochées. Après des discussions parfois tendues dans les couloirs du Parlement entre 2004 et décembre dernier, le projet de réforme, piloté par Benoît Pelletier, a été mis entre les mains du directeur général des élections qui devrait déposer un rapport sur la réforme en juin prochain.
«Est-ce qu'on va arrêter ça là? Je ne pense pas», dit M. Larocque. «Le PLQ est allé trop loin pour revenir en arrière.» Et sa situation minoritaire pourrait même l'aider, paradoxalement, à poursuivre sa route.
Jean-Pierre Charbonneau, ancien ministre de la Réforme des institutions démocratiques en 2002-2003 et membre d'une coalition qui en début de semaine a appuyé l'adoption d'un nouveau mode de scrutin, le pense en tout cas. «Il y a des conditions gagnantes, dit-il. Dans l'opposition, l'Action démocratique du Québec [ADQ] a fait d'un nouveau mode de scrutin son cheval de bataille lors de la dernière campagne. La proportionnelle est d'ailleurs dans leur programme.»
L'ex-député fait au passage remarquer que, dimanche dernier, Jean Allaire, fondateur de l'ADQ, et Marie Grégoire, ex-député adéquiste, étaient du nombre des personnalités en faveur d'une réforme.
Certes, le Parti québécois s'est, dans les dernières années, opposé à la réouverture de la Loi électorale, souligne-t-il, prétextant un besoin d'indépendance avant une réforme. «Pour contrôler l'agenda référendaire, il faut prendre le pouvoir avec la majorité des voix, résume Charbonneau. Ce que le système actuel leur permettait de faire.»
Ça, c'était avant le 26 mars, les 28 % et les 36 sièges qui placent désormais la formation souverainiste au troisième rang des forces politiques en présence au Québec. «Si la progression de l'ADQ devait s'accentuer et si les électeurs voulaient essayer Mario Dumont comme premier ministre, cela pourrait menacer l'existence du PQ, poursuit M. Charbonneau. Dans un système uninominal à un tour, on pourrait bien avoir deux ou zéro députés avec moins de 20 % des voix. Est-ce que ça serait sain pour le mouvement souverainiste de se retrouver avec une représentation minimaliste à l'Assemblée nationale?»
Un jeu dangereux
«Police d'assurance pour le PQ afin de garder sa place» dans un salon bleu, dit l'ancien ministre, la proportionnelle pourrait toutefois devenir un véritable calvaire pour l'ADQ, estime pour sa part le politicologue de l'ENAP Christian Dufour qui doute du bien-fondé d'une réforme et de ses chances de voir le jour. «Mario Dumont est actuellement dans l'antichambre du pouvoir, dit-il. Ce serait maso pour lui de faire une priorité d'un projet qui va diminuer ses chances de devenir premier ministre.» Un tel mode de scrutin engendre en effet le pluripartisme et, de facto, la constitution de gouvernements dits de coalition.
L'effet pervers n'est bien sûr pas négligeable. Mais il peut facilement être atténué par le choix d'une formule de proportionnelle à l'avantage de tous, croit Jean-Pierre Charbonneau. Choix que la constellation politique à Québec en ce moment pourrait d'ailleurs guider puisque aucun des «trois partis ne domine à l'Assemblée», dit-il. «Dans ce contexte, si l'on ramène un projet de loi, cela ne va pas être facile d'imposer un mode de scrutin qui favorise une formation politique plutôt qu'une autre.»
Reste toutefois une inconnue: les députés eux-mêmes qui pourraient bien être les principaux obstacles à cette réforme. À commencer par les 95 élus sans majorité et qui, en remettant en question le mode de scrutin actuel, remettent également en question leur siège à Québec. «C'est un frein important depuis des années, résume André Larocque, mais il va falloir en venir à bout si l'on veut régler le problème du cynisme des électeurs» et du désabusement général de la population envers des politiciens par lesquels plusieurs ne se sentent plus vraiment représentés.
«Le mode de scrutin, ce n'est pas un ensemble de jeux stratégiques pour favoriser les partis politiques, y compris les tiers partis d'ailleurs, poursuit-il. Un mode de scrutin, c'est fait pour enregistrer la volonté populaire et lui permettre de s'exprimer correctement.»
La voix du peuple
Cette population devrait d'ailleurs prendre la parole sur une éventuelle réforme, mais aussi l'encadrer, croit pour sa part David Litvak qui pilote actuellement une campagne pour une assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec. Et ce, «afin de sortir la question de la réforme de l'Assemblée», dit-il au téléphone. Le Devoir l'a joint hier au Nicaragua où il effectue «un voyage d'étude personnel» sur le thème de la démocratie.
Copiée en Colombie-Britannique où une refonte du système électoral est également en cours, l'idée consiste à mettre en place une structure supraparlementaire et indépendante pour disséquer et orchestrer une réforme dans laquelle les députés sont finalement juge et partie. «L'assemblée pourrait être composée d'électeurs pris au hasard dans les listes électorales, poursuit le responsable de cette campagne. À terme, le fruit de leurs travaux serait alors soumis à la population par voie de référendum.»
Ancien péquiste et lévèquiste aujourd'hui vert, André Larocque, écoute la proposition. Mais il la rejette sur-le-champ. «On ne va pas recommencer à zéro, dit-il. Ça, c'est de la masturbation intellectuelle. On a déjà un projet de loi. Il faut partir de là et poursuivre.»
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