Protection du français : cibler l’immigration avant la loi 101

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La démographie : « c’est la ligne de flottaison » (Fernand Braudel) ; « c’est le destin » (Auguste Comte)


Alors que l’Assemblée nationale entamera bientôt l’étude détaillée du projet de loi 96, la loi visant à mieux protéger la langue française, plusieurs experts considèrent que la portée d’un tel geste est limitée.




Selon le professeur de mathématiques à la retraite Charles Castonguay, la vitalité de la langue française au Québec au cours des prochaines décennies dépendra davantage de la politique d’immigration du gouvernement que de nouvelles mesures législatives.


La forte présence d’immigrants de culture française, de langue française, qui connaissent le français au préalable avant d’immigrer au Québec, a été un facteur déterminant dans l’amélioration du pouvoir d’attraction, du pouvoir d’assimilation du français parmi les nouveaux arrivants [ces dernières décennies]. Si ce poids vient à décroître, s’il y a moins d’immigrants qui, à l’arrivée, connaissent le français, c’est de mauvais augure, explique le mathématicien.


Il plaide pour la mise en place d’une politique d’immigration claire, qui favorise les francophones et les francotropes. Selon la définition consacrée, les francotropes sont des personnes qui, sans être de langue maternelle française, proviennent de pays ou sont issues de cultures ayant des affinités avec le français.







Depuis le début des années 1970, avec les réfugiés haïtiens qui fuyaient le régime Duvalier, ou encore les Vietnamiens qui fuyaient la guerre du Vietnam... c’étaient des francotropes. La majorité des immigrants de ces cohortes-là se sont francisés dès le début des années 1970. Ça n’a rien à voir avec la loi 101, qui est entrée en vigueur à l’automne 1977 et qui a peut-être porté ses fruits 10 ou 15 ans plus tard.


Québec aurait intérêt, selon lui, à exiger des immigrants une connaissance minimale du français dès leur arrivée au pays. Selon une étude récente de l’Office québécois de la langue française (Nouvelle fenêtre), les deux tiers des immigrants qui ne parlaient pas français à leur arrivée au Québec ne le parlaient toujours pas dix ans plus tard.


En 2017, un rapport de la vérificatrice générale du Québec concluait d’ailleurs à l’échec des programmes de francisation québécois.




 

Le professeur aide une élève adulte dans son exercice.


Révision de la loi 101 : l'importance du français en immigration


Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers




Freiner le déclin, faute de mieux


L’immigration est sans contredit la variable la plus importante sur laquelle le gouvernement peut avoir un certain contrôle, insiste le professeur au Département de démographie de l’Université de Montréal, Marc Termote, qui a lui aussi témoigné en commission parlementaire.


À l’heure actuelle, près de la moitié des nouveaux arrivants se tournent vers l’anglais. Et même si tous les nouveaux arrivants parlaient français à leur arrivée au Québec ou se francisaient, le français serait encore en danger. C’est que la fécondité des francophones est basse, plus basse encore que celle des anglophones.


Avec le taux de fécondité trop bas et le nombre des décès qui surpassera bientôt les naissances, il faut aussi considérer le temps nécessaire pour franciser les immigrants, rappelle le professeur Termote. Ce qu’on oublie toujours, c’est que, même si tous les immigrants finissent par parler français, ça prend du temps. L’âge moyen d’un immigrant, c’est 30 ans, et à 30 ans, on ne change plus de langue.


Résultat : même dans le meilleur des scénarios, la francisation prend au moins une génération et demie. Réduire l’immigration pourrait certainement ralentir l’anglicisation, sans l’arrêter, et ce, en particulier dans la région de Montréal, où le français est plus fragile.


La maîtrise du français à l’entrée


D’autres démographes et groupes de défense du français ont exprimé des préoccupations similaires lors des auditions sur le projet de loi 96. Ils maintiennent que l’admission d’immigrants ayant déjà une certaine connaissance du français à leur arrivée au pays pourrait changer la donne de manière significative.


De fait, selon des chiffres du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, les immigrants qui parlent français à leur arrivée sont plus nombreux à rester au Québec à long terme.





Ces dernières années, la CAQ a envoyé des signaux mitigés quant à la nécessité pour les immigrants de parler français lors de leur admission au Québec.


En 2017, François Legault avait déclaré en entrevue à CBC que le Québec accordait trop d’importance à la connaissance du français, et il se montrait favorable à une sélection basée sur les compétences économiques, accompagnée de mesures de francisation plus musclées.


Plus récemment, il insistait plutôt sur la nécessité d’admettre un plus grand nombre d’immigrants parlant déjà français à leur arrivée.





Outre les déclarations politiques, on constate sur le terrain que les immigrants qui parlent français à leur arrivée ont tendance à mieux s’intégrer. Même chose pour ceux qui viennent de pays où le français jouit d’une certaine notoriété.


C’est vrai, ces personnes ont tendance à accueillir favorablement l’idée de s’insérer au Québec en français. Ils ont peut-être eux-mêmes un peu étudié le français avant de venir, fait valoir Carlos Carmona, coordonnateur au Regroupement des organismes en francisation du Québec. Il y a des pays où le français a un certain prestige, certains pays d’Europe de l’Est [...] ou d’Amérique du Sud.


Quant au processus de francisation, il doit débuter le plus tôt possible pour être couronné de succès. C’est au début que ça se passe. Il ne faut pas que la personne se fasse attirer par l’anglais. Il faut lui donner la possibilité d’apprendre le français le plus rapidement possible.


Il incite le gouvernement à aplanir certains irritants qui limitent l’accès aux cours de français.


Les cours commencent et deux semaines après – et ça, c’est lié à la convention collective des professeurs – on ne peut pas inscrire, ajouter des nouveaux élèves. Moi, je suis un nouvel arrivant, j’arrive au début de la troisième semaine, je veux m’inscrire, parfait, mais on va m’inscrire pour une session qui va commencer 9, 10, 11 semaines plus tard. Là, il y a une période de battement où je suis tenté à Montréal, peut-être, de chercher autre chose.


À l’instar de nombreux autres intervenants du secteur, il souhaite aussi que le gouvernement ait une politique claire en matière d’immigration et de francisation.


Il ne faudrait peut-être pas voir le projet de loi 96 comme un aboutissement, conclut Charles Castonguay.




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