Éditorial, numéro Novembre-Décembre 2008
Ces lignes sont écrites au lendemain du débat des chefs. Les bonimenteurs du cartel médiatique vont continuer leurs sparages pour alimenter le spectacle et se donner l’impression de faire comprendre quelque chose de ce qui se passe ici. Il s’en est évidemment trouvé pour faire plus finaud que les autres et déplorer le médiocre niveau des échanges en comparaison avec ceux de la campagne américaine qui les avait fait tant vibrer. Illustration parfaite de leur esprit provincial et des réactions compensatoires qui leur tiennent lieu de posture intellectuelle, ces internationalistes de pacotille n’ont même pas eu l’intelligence de comprendre que les échanges étant restés dans l’univers de la province de Québec, ils ne pouvaient en rien être comparés avec ceux d’un État indépendant, a fortiori, avec le plus puissant d’entre eux aux prises avec une crise de transition de son rôle impérial.
Le résultat des élections n’est pas encore connu mais il est d’ores et déjà établi qu’il n’apportera rien d’autre qu’un coûteux détour. Luttant pour gérer l’alternance plutôt que pour changer le régime, le parti qui prendra le pouvoir ne fera rien de plus et rien de moins que ce la campagne a été : un exercice surréaliste pour rester en marge des véritables solutions, un quasi-délire d’intendance pour mieux tenter de se convaincre que le gouvernement du Québec peut encore quelque chose pour orienter le destin de la province. Il s’en est trouvé quelques-uns des observateurs du spectacle pour s’étonner de ce que cette bizarre de campagne n’ait pas donné lieu à des débats sérieux sur une crise dont les enjeux et le dénouement incertain se jouent à l’échelle mondiale. Étonnement niais qui participe du même refus partagé par les principaux partis en lice de voir les choses comme elles sont.
La campagne a été provinciale parce que le Québec ne peut aspirer à mieux dans le cadre canadian. Le Québec ne contrôle aucun des leviers stratégiques qui lui permettraient de planifier une réaction cohérente pour faire face à la crise. Pendant que les chefs mesurent la longueur des listes d’attentes des hôpitaux, c’est à Ottawa que se décide l’essentiel. Les choses sont encore dans le brouillard même si le dogme du laisser-faire continue d’inspirer le gouvernement Harper. Le Québec devra attendre et prendre acte. Et il s’organisera avec les moyens qu’on lui laisse pour bricoler des solutions avec des mesures de soutien à l’emploi amputées du contrôle sur les grands axes d’une politique nationale, sans caisse d’assurance-emploi, sans pouvoir de décision finale sur l’architecture des systèmes de soutien à la formation de la main-d’œuvre, sans financement adéquat pour son système scolaire, sans contrôle sur la politique de financement de la recherche et avec une crise universitaire qui ira en s’amplifiant. Les débats sur le déficit budgétaire et la dette vont devenir aussi lancinants qu’inutiles : le gouvernement du Québec n’a plus les moyens d’assumer son héritage historique (programmes sociaux, institutions nationales, etc.) et il n’équilibrera ses finances qu’aux conditions d’Ottawa et au prix du sacrifice de plusieurs de ses joyaux acquis de haute lutte.
Quatre ans de galère à l’horizon donc. Jean Charest, qui a fait ses choux gras de l’image des mains sur le gouvernail pour traverser la tempête, n’a jamais réalisé qu’un premier ministre du Québec n’est pas sur le pont mais dans la cale et que ce qu’il tient dans ses mains, c’est une rame enchaînée. En refusant de faire campagne sur l’essentiel, sur sa raison d’être et la seule voie d’émancipation pour notre peuple, le Parti québécois n’a fait que repousser les échéances contre lesquelles il s’arc-boute depuis trop longtemps. Les années qui viennent vont être celles de l’intransigeance. La complaisance provinciale a fait son temps et Ottawa a d’ores et déjà décidé d’en faire son affaire. Le seul véritable événement de cette campagne électorale aura été le Discours du Trône, une pièce fadasse, mais qui redit pourtant l’essentiel pour nous : Ottawa poursuit ses efforts pour cadenasser à jamais le Québec dans le système électoral et les institutions canadian. La politique de Harper se fera revancharde et les artistes québécois ne seront pas les derniers à se faire servir des médecines amères.
La logique du régime canadian va dévorer nos institutions les unes après les autres, les inféodant à des normes, des politiques et choix d’avenir qui conforteront ceux du nation building d’Ottawa. Les vraies décisions stratégiques se prennent désormais toutes à Ottawa. Le centre de gravité de notre vie collective a été déplacé contre notre gré. Le pouvoir de dépenser, les intrusions dans tous les champs de compétence, les calculs de péréquation ont réduit les marges de manœuvre de notre Assemblée nationale et la transforme de plus en plus en agence de livraison des services. L’écart grandit entre les aspirations et les attentes que nourrit notre peuple à l’endroit de son gouvernement et ce qu’il peut objectivement décider par lui-même et par lui-même seulement. De fait, il ne décide réellement que des modalités du ratatinement qu’Ottawa nous fait subir.
Les partis politiques n’ont pas fait une campagne médiocre, ils ont fait la seule que le registre provincial autorise. Ils ne sont pas à la hauteur du destin de notre peuple mais ils satisfont amplement aux standards provinciaux. Tout franchement, ils sont au moins aussi bons que ceux du Nouveau-Brunswick ou de l’Île-du-Prince-Édouard. Il faudrait s’y faire ou refuser aux élites politiques cet espace dans lequel elles nous aménagent une vie médiocre, sans prise réelle sur les moyens qui nous permettraient d’aller au bout de notre potentiel.
Il n’y aura plus d’autre politique provinciale que celle des lamentations et du quémandage. Nous n’aurons pour nous en distraire que les ratés des manœuvres de simulacre lancées, souhaitées et entretenues par le gouvernement qui en aura plein les bras avec les viaducs en lambeaux, les ponts qui chambranlent et les dérives des partenariats public-privé. Le Québec est une maison qu’on chauffe en brûlant les meubles. Les acquis de la Révolution tranquille et d’une mobilisation qui s’est étalée sur trois générations au moins sont gravement menacés. La campagne électorale qui s’achève aura été conduite avec la fausse assurance des peureux qui traversent les cimetières en sifflant pour couvrir leur désarroi intérieur. Mais les faits sont têtus.
En refusant de poser le débat dans les catégories de l’intérêt national les partis politiques manquent à leur devoir. Ils revendiquent sur l’accessoire et cèdent sur l’essentiel en tolérant un ordre des choses contraire à notre épanouissement. Cela enferme notre débat démocratique dans la politique du simulacre. Les généralités sur l’avenir du Québec qu’on nous a servies pour conclure ce débat ont noyé dans les bons sentiments un navrant consentement au cadre canadian. Le ronron nationaliste ne trompe guère. Dans les faits, le PLQ et l’ADQ acceptent l’ordre constitutionnel illégitime du coup de force de 1982, le PQ s’en accommode comme si de rien n’était alors que son déploiement nous enferme chaque jour davantage. Il était désolant de voir Pauline Marois plaider la souveraineté culturelle et tenter de nous convaincre qu’elle veut faire avancer le Québec en le lançant sur les récifs où Robert Bourassa s’est échoué. Les trois chefs, ce soir-là, disaient vouloir faire avancer le Québec, personne ne voulant cependant tracer d’itinéraire précis et encore moins expliciter le sens de la trajectoire que le bricolage provincial les oblige à suivre. Tous trois dans la cale d’un rafiot vermoulu à la remorque d’Ottawa…
Il faudrait une politique nationale, personne n’en a parlé ni formulé la moindre proposition. Le mandat qui sera inauguré le 8 décembre en imposera la nécessité dans le tumulte et les turbulences d’une crise majeure qui placera notre peuple devant des périls inédits. Les Québécois et les Québécoises vont devoir les affronter en s’infligeant, au surplus, le procès de leurs élites démissionnaires.
Il est fini le temps de la confusion des genres : nous saurons au cours de ce prochain mandat, peu importe qui gouvernera la province, si c’est le régime qui meurt ou si la logique politicienne servira d’alibi pour consentir à laisser le Québec se faire embaumer vivant.
Quatre ans de galère
Les acquis de la Révolution tranquille et d’une mobilisation qui s’est étalée sur trois générations au moins sont gravement menacés.
Chronique de Robert Laplante
Robert Laplante173 articles
Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.
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