Essais québécois

Rafraîchir l'idée d'indépendance

Le destin québécois


La liberté du Québec
_ Pierre Graveline
_ Fides
_ Montréal, 2011, 136 pages
Dans La liberté du Québec, Pierre Graveline développe un argumentaire actualisé, plus efficace qu'original, en faveur de l'indépendance du Québec . Ce n'est pas d'hier que Pierre Graveline milite pour un Québec indépendant et socialement juste. Chansons d'icitte, son premier livre publié en 1977 aux éditions Parti pris, chantait déjà le Québec libre et son histoire, tout en en appelant à un réveil des travailleurs exploités. Depuis, Graveline a notamment publié Une histoire de l'éducation au Québec (BQ, 2007), rédigée à partir d'un angle syndical, a prêté sa plume à Pauline Marois dans Québécoise! (Fides, 2008) et a regroupé, dans une belle anthologie, Les cent plus beaux poèmes québécois (Fides, 2007). Militant animé par un souffle culturel, Pierre Graveline, qui est aujourd'hui directeur général de la Fondation Lionel-Groulx, est un homme engagé, au beau sens du terme.
Dans La liberté du Québec, il développe un argumentaire actualisé, plus efficace qu'original, en faveur de l'indépendance du Québec. La nation québécoise, écrit-il, existe et s'est brillamment développée depuis 50 ans par ses propres moyens, mais elle reste une nation «colonisée, menacée, inachevée». La Révolution tranquille nous a fait faire des pas de géant à plusieurs égards (éducation, santé, économie, culture), mais elle «a tragiquement failli à atteindre sa finalité ultime: l'émancipation politique de notre nation». Aussi, alors que 60 % de l'ensemble de la population et 70 % des francophones s'identifient d'abord, aujourd'hui, comme des Québécois, le Québec reste privé de sa liberté entière et soumis à un ensemble canadien qui l'ignore de plus en plus.
Notre poids démographique, politique et économique baisse sans cesse au sein du Canada. «Alors que nous constituions 33 % de la population du Canada en 1867, rappelle Graveline, nous n'en représentons plus que 23 % en 2010.» Un parti politique, aujourd'hui, peut gouverner le Canada en se privant de l'appui du Québec. En 1960, Montréal était la métropole é-conomique du Canada. Elle se classe maintenant derrière Toronto et Calgary. Sur la scène internationale, la nation québécoise est muette.
Contre l'attentisme
Nos élites, pendant ce temps, se laissent aller au défaitisme, déplore Graveline. Les fédéralistes, rembarrés à de multiples reprises par Ottawa depuis 50 ans dès qu'ils parlent de réformes, ont renoncé. De nombreux souverainistes, surtout depuis le triste passage de Lucien Bouchard à la tête du Parti québécois, se contentent d'un «attentisme déprimant». Il faudrait, disent-ils souvent, s'attaquer aux problèmes plus pressants avant de revenir à la souveraineté. «Comme s'il n'y avait pas de lien entre la faiblesse politique de notre État national et notre incapacité manifeste à faire face à plusieurs défis que nous devons aujourd'hui relever», rétorque Graveline, à la suite de Pierre Bourgault.
La nation québécoise, pourtant, est menacée, comme en témoigne l'actuelle anglicisation de Montréal. Cinquante mille nouveaux immigrants débarquent annuellement au Québec et s'installent surtout à Montréal. La moitié d'entre eux, au moins, ne parlent pas du tout français. «N'étant pas indépendant, écrit Graveline, notre État national ne peut les obliger à apprendre le français en en faisant une condition d'obtention de la citoyenneté.» Ils travaillent ensuite souvent en anglais, fréquentent des cégeps et universités anglophones où la Charte de la langue française ne s'applique pas et peuvent acheter, comme les francophones, le droit à l'école primaire et secondaire en anglais, depuis un jugement de la Cour suprême en 2009.
De plus, les Québécois de langue maternelle anglaise constituent moins de 10 % de la population québécoise, mais les trois universités anglophones d'ici récoltent 27 % des fonds publics québécois et 40 % des investissements fédéraux consacrés aux universités. «La moitié des investissements en cours dans les nouvelles infrastructures de santé de la métropole, ajoute Graveline, ira à des établissements de langue anglaise.» Tantôt, à ce rythme, l'anglais sera la langue d'usage dans la métropole.
Au fil de l'histoire
On ne fera pas l'indépendance pour reprendre la bataille des plaines d'Abraham, explique l'essayiste, ou pour régler nos comptes avec le Canada. On fera l'indépendance pour être libres, pour prendre nos propres décisions, pour avoir une voix et défendre nos intérêts sur la scène internationale. On fera l'indépendance pour vivre dans un Québec vraiment français, dans le respect de la minorité anglaise et des nations autochtones. Souverain, le Québec maîtrisera son économie, au lieu de voir 50 % de ses taxes et impôts servir aux industries pétrolière et automobile et à une politique de défense qu'il rejette. Le Québec pourra aussi instaurer une vraie laïcité, un objectif impossible à atteindre dans un pays dont la Constitution affirme «la suprématie de Dieu» et impose le multiculturalisme.
Le désir d'indépendance n'est pas à contre-courant de l'histoire. Depuis 65 ans, 142 nations ont choisi d'assumer leur liberté nationale. Malgré le pessimisme régnant, écrit Graveline, «notre nation n'a jamais été, de toute son histoire, aussi forte et en meilleure posture, à tous égards mais particulièrement sur le plan économique, pour accéder à son indépendance politique». Elle dispose encore d'une majorité francophone solide (79 %), qui s'identifie plus que jamais au Québec d'abord, et d'un noyau dur de 40 % d'indépendantistes résolus. De plus, la croyance à une réforme du fédéralisme satisfaisante pour le Québec «est irrémédiablement condamnée à s'effondrer» et la conscience du fait que la mondialisation entraîne la nécessité d'avoir une voix sur la scène internationale pour ne pas s'isoler du reste du monde se développe.
L'heure est donc venue, conclut Graveline, de sortir du provincialisme, de ne plus se soumettre à la Constitution canadienne quand elle nie nos intérêts, de se préoccuper des enjeux internationaux directement, et non plus par l'entremise d'Ottawa. Il importe, écrit-il dans la section la moins convaincante de son essai, de mobiliser le peuple et la jeunesse en ce sens, de dépasser l'électoralisme, de créer une coalition citoyenne pour l'indépendance et d'utiliser les ressources de l'État québécois pour préparer cette dernière.
S'il brille par ses vertus pédagogiques (clarté, cohérence, concision), le plaidoyer de Pierre Graveline manque toutefois un peu d'allant sur le plan de l'écriture. Il rafraîchit néanmoins efficacement l'idée d'indépendance.
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louisco@sympatico.ca


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