Rebutante idéologie

Armé d'une victoire très modeste, M. Harper devrait reculer sur les avancées qui ont irrité un potentiel électorat. Il risque sinon de gouverner dans l'opprobre.

Élection fédérale 2008 - les résultats

On ne pavoise pas avec une demi-victoire. Laissant poindre une touche d'humilité, le premier ministre Stephen Harper rappelait hier que «les électeurs n'ont pas d'obligation face aux politiciens». La totale incapacité des conservateurs à pénétrer comme ils l'auraient rêvé un Québec récalcitrant en est la confirmation évidente.
Au lendemain d'un scrutin qui laisse l'équipe conservatrice les bras ballants devant le Québec qu'elle souhaitait noyauter, le nouveau gouvernement minoritaire doit reconnaître à travers cet échec la résistance des électeurs québécois face à une idéologie qui les rebute.
Traditionnellement étanche aux ambitions conservatrices, la région de Montréal est demeurée mardi inébranlable: non seulement a-t-elle rayé l'ex-sénateur Michael Fortier de la carte, mais elle est demeurée insensible à la popularité du maire de Saint-Eustache, Claude Carignan, une vedette promise à un avenir de ministre. Effondré, le candidat défait dans Rivière-des-Mille-Îles a avancé une explication que l'équipe de Stephen Harper devrait mijoter: «Les politiques sur la culture et les jeunes contrevenants ont permis de cimenter le Bloc. Ce sont des politiques intéressantes, mais qui n'ont pas été bien expliquées.»
Que l'on franchisse un pas de plus: ces politiques ont tout simplement accablé l'électorat québécois car il ne s'y retrouvait pas. La chute de l'appui populaire consenti aux troupes de M. Harper au Québec -- 21,7 % du vote en 2008 contre 25 % en 2006 -- s'explique non seulement par l'apathie du chef face aux perturbations économiques mondiales mais surtout par le rejet d'une idéologie à saveur rigoriste, et qui de plus s'est révélée de manière sournoise plutôt que d'être ouvertement affichée.
L'on pense bien sûr à ces compressions visant la culture, des coupes vilipendées à juste titre. Arrogant à l'extrême, le chef Harper a attisé la colère en faisant des artistes geignards des bébés gâtés. Mais l'on pense aussi au projet de loi C-484, qui fragilise les acquis en matière d'avortement en dotant le foetus d'un statut juridique. Au Québec plus qu'ailleurs, ce thème a soulevé l'inquiétude et provoqué la grogne. Et l'on songe surtout à l'engagement controversé sur les jeunes contrevenants, que les conservateurs veulent punir comme des adultes lors de crimes graves. Alors que le Québec prône la réhabilitation, cette approche sans pitié a choqué au lieu de rallier.
Les conservateurs ont bien sûr connu quelques ratés de campagne qui les ont desservis. L'opposition à elle seule, tant libérale que bloquiste, n'était pas suffisamment robuste pour expliquer l'échec de l'équipe Harper dans sa reconquête du Québec, et cela même si le Bloc, en fin de course, a eu tout à fait raison de jouer la carte de l'incompatibilité des valeurs québécoises avec la feuille de route conservatrice.
Non. On ne peut l'expliquer autrement: la rebuffade des conservateurs au Québec est intimement liée à l'idéologie qu'ils véhiculent. Le politicien, lui, a des obligations face aux citoyens qu'il dirige. Armé d'une victoire très modeste, M. Harper devrait reculer sur les avancées qui ont irrité un potentiel électorat. Il risque sinon de gouverner dans l'opprobre.


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