Recensement 2011 : Le début de la fin du Québec français?

Langue française

Les données linguistiques du recensement 2011 sont venues confirmer ce que plusieurs d’entre nous avaient déjà constaté : le français recule au Québec. Dans le reste du Canada, la situation du français est catastrophique : hors Québec, 43 % des francophones (langue maternelle) utilisent plus souvent l’anglais à la maison que le français.
Ces « assimilés » sont, pour la plupart, des jeunes, ce qui laisse entrevoir une assimilation quasi totale à l’anglais hors de l’Acadie dans un avenir relativement proche. Le taux de bilinguisme a également diminué dans le reste du Canada, prouvant une fois de plus que le bilinguisme prôné par Pierre-Elliott Trudeau est un lamentable échec hors du Québec.
S’attarder trop longtemps au reste du Canada est inutile puisque nous savons tous que rien ne sera fait pour empêcher la disparition des communautés francophones hors du Québec et de l’Acadie. Revenons donc au Québec : nouvelles données, même constat. Le français recule une fois de plus, lentement mais sûrement. « Quel déclin? », demandent certains. Eh bien, comme nous le verrons ci-dessous, tous les indicateurs démontrent un recul certain du français au Québec.
Langue maternelle
Au niveau de la langue maternelle, le français est passé de 81,4 % en 2001 à 79,6 % en 2006 à finalement 78,9 % en 2011 (-2,5 points de pourcentage en seulement dix ans, -0,7 points depuis le recensement de 2006), un recul plus faible que prévu par Statistique Canada. Alors que le français recule, l’anglais a plutôt augmenté de 0,1 point de pourcentage entre 2006 et 2011 (de 8,2 % à 8,3 %). Pour les langues allophones, le pourcentage passe de 12,3 % en 2006 à 12,8 % en 2011 (+0,5 point de pourcentage).
La répartition des réponses multiples pose problème et Statistique Canada a choisi de répartir également les « bilingues » vers les groupes linguistiques concernés (vous avez deux individus de langues maternelles française et anglaise, un sera compté parmi les francophones, l’autre parmi les anglophones) ce qui modifie les chiffres absolus sans toutefois remettre en cause les pourcentages et variations observées. Bref, indépendamment de la répartition réalisée par Statistique Canada, les variations observées ne mentent pas : seule la langue française recule au Québec au niveau des langues maternelles.
Langue d’usage
Le français comme principale langue parlée à la maison est passé de 83,1 % en 2001 à 82,7 % en 2006 à 82,5 % en 2011 (-0,2 point depuis 2006). Mais le français comme unique langue parlée est passé de 75,1 % en 2006 à 72,8 % en 2011 (-2,3 points de pourcentage en seulement cinq ans). À Montréal, le français comme langue d’usage chute encore, passant de 56,4 % en 2001, à 54,2 % en 2006 puis à 53 % en 2011.
Plusieurs viendront dire, une fois de plus, que le français chute à Montréal puisque les francophones quittent massivement pour la banlieue. Pourtant, beaucoup d’anglophones ont également quitté le Québec, mais l’anglais a malgré tout progressé. Dans l’ensemble du Québec, l’anglais comme langue d’usage passe de 10,6 % en 2006 à 10,7 % en 2011 (gain de 0,1 point de pourcentage). Comme unique langue d’usage, l’anglais passe de 6,6 % en 2006 à 6,2 % en 2011 (diminution de 0,4 point versus -2,3 points pour le français).
Les données multiples sont donc très importantes pour comprendre l’évolution des langues au Québec. En additionnant toutes les données selon la langue (français uniquement, français et anglais, français et autre) indépendamment du niveau d’utilisation, nous constatons un recul du français dans les foyers québécois (86,6 % en 2001, 86 % en 2006 puis 85,4 en 2011). En refaisant le même exercice pour l’anglais, nous constatons que l’anglais progresse dans les foyers québécois (15,7 % en 2001, 16,2 % en 2006 puis 16,6 % en 2011).
En refaisant le même exercice pour la RMR de Montréal (donc l’île et la banlieue), nous constatons une fois de plus que le français recule dans les foyers montréalais alors que l’anglais progresse. Le pourcentage total de citoyen de la RMR affirmant parler français à la maison (uniquement ou avec d’autres langues) est passé de 76,4 % en 2001 à 74,7 % en 2011 (-1,7 point).
Au contraire, l’anglais progresse, passant de 24,3 % en 2001 à 24,6 % en 2011 (+0,3 point). Bref, ceux qui affirment que le déclin du français sur l’île est dû à l’exode des francophones vers la banlieue se trompent : l’attrait de l’anglais est incontestable alors que le français poursuit sa dégringolade.
Pour l’instant, difficile d’expliquer une telle augmentation des réponses multiples. L’augmentation du nombre de couples « mixtes » pourrait expliquer une partie du phénomène, alors que la volonté d’améliorer l’anglais pourrait expliquer une autre partie du phénomène (par exemple, deux parents francophones parlants parfois en anglais avec leurs enfants). Des démographes se chargeront vraisemblablement d’expliquer ce phénomène, mais d’une manière ou d’une autre, l’anglais progresse tandis que le français recule.
Transferts linguistiques
Le seul point positif que plusieurs ont trouvé dans ce recensement est l’augmentation relative des transferts linguistiques vers le français par rapport à l’anglais.
Premièrement, notons que les transferts linguistiques (langue d’usage différente de la langue maternelle) sont peu nombreux : par exemple, ils n’étaient que de 36 % en 2006.
Deuxièmement, notons également que les données sur les transferts linguistiques sont légèrement faussées. Par exemple, le Québec sélectionne une importante quantité d’immigrants « francophones », mais de langue maternelle autre.
Par exemple, un Haïtien a probablement le Créole comme langue maternelle, mais étudie en français en Haïti et arrive au Québec déjà francisé. Parler d’un transfert linguistique dans un tel cas est exagéré puisque l’individu avait déjà le français comme langue d’usage (seule ou combinée). Marc Termote et Charles Castonguay (deux démographes) abondent dans le même sens selon le témoignage de Pierre Curzi.
De plus, les immigrants anglicisés ont tendance à quitter le Québec vers d’autres provinces, ce qui gonfle artificiellement le pourcentage de transferts vers le français, toujours selon Curzi.
Et, que les données soient faussées ou non, 100 % des allophones devraient effectuer un transfert à 85-90 % vers le français et 10-15 % vers l’anglais pour assurer la stabilité de ces deux groupes linguistiques, alors que les données (faussées selon certains démographes) montrent toujours un attrait partagé entre l’anglais et le français.
Tel que démontré ci-haut (section sur la langue d’usage) et déjà confirmé par certains démographes, l’anglais attire davantage que le français. Les transferts linguistiques, sans être non significatifs, ne témoignent pas du réel pouvoir d’attraction compte tenu des différents facteurs évoqués.
Données manquantes
Il manque certaines données cruciales afin de réellement pouvoir comprendre l’évolution linguistique au Québec : les données reliées à la langue de travail. Les Conservateurs ont décidé d’abolir le formulaire long pour des fins idéologiques, contre l’avis unanime des experts. Les données sur la langue parlée à la maison, la langue maternelle et la connaissance des langues ne donnent qu’une partie de la réalité linguistique au Québec. La langue de travail a un effet déterminant sur les comportements linguistiques.
Par exemple, selon Statistique Canada, ma copine aurait effectué un transfert linguistique vers le français puisque c’est la langue que nous parlons à la maison.
Pourtant, à son emploi (une entreprise sous juridiction fédérale) la langue de travail est l’anglais. Résultat : elle est aujourd’hui beaucoup plus à l’aise en anglais qu’en français.
Si elle doit choisir entre l’anglais ou le français, ce sera naturellement l’anglais puisqu’elle travaille en anglais (utilisation de termes techniques, écriture, relations d’amitié, etc.) alors que le français qu’elle utilise se limite à un français oral (utile dans la vie de tous les jours, mais peu utile pour le marché du travail). Dire qu’elle est francophone serait nettement exagéré, pourtant c’est ainsi qu’elle apparaît dans les statistiques du recensement.
D’ailleurs, énormément de francophones travaillent également en anglais, ce qui peut les mener à l’assimilation (phénomène qui existe bel et bien chez les francophones au Québec, notamment dans l’ouest de Montréal et en Outaouais). Idem pour la langue des études qui a une importance capitale dans la vie d’un individu (vie sociale, apprentissage de termes reliés au métier, rédaction de documents, etc.).
Conclusion
Bref, l’avenir du français en Amérique est très sombre. Rien n’indique que nous assisterons à un revirement de situation si nous poursuivons dans la même voie (prenons comme exemple ce père bilingue, un « Bergeron », qui préférait risquer la vie de sa fille plutôt que de parler en français à un ambulancier francophone ou encore la SAAQ qui offre maintenant la possibilité de passer des examens en espagnol, mandarin et autres langues). Le Québec est devenu de facto bilingue, ce qui n’avantage que l’anglais dans notre environnement nord-américain et explique l’attrait disproportionné de l’anglais par rapport au français.
Pourtant, nous aurons encore droit à des chroniques et éditoriaux « négationnistes » où les auteurs (pratiquement tous fédéralistes) vous diront qu’il n’y a pas de problèmes. C’est plutôt que ceux-ci ne veulent pas que nous voyions le problème puisqu’ils préfèrent voir un Québec anglicisé plutôt qu’indépendant.
Je suis prêt à gager qu’André Pratte publiera bientôt un éditorial dans La Presse où il affirmera que le « faible » déclin du français est normal étant donné l’immigration internationale, mais que les allophones apprennent davantage le français qu’auparavant et que les Québécois se doivent de simplement rester vigilants (au moment d’écrire ces lignes, André Pratte n’avait toujours pas publié d’éditorial à ce sujet).
Tout va très bien, madame la marquise! Seul petit point positif au tableau : nous avons élu un gouvernement qui s’est engagé à défendre le français. Malheureusement, minoritaire, tout dépendra de l’opposition. Vont-ils souhaiter travailler pour l’avenir du Québec français, ou vont-ils préférer sacrifier la langue française par électoralisme?
Données du recensement 2011 par Statistique Canada : http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/as-sa/98-314-x/98-314-x2011001-fra.pdf

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Maxime Duchesne25 articles

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Maxime Duchesne est présentement étudiant à HEC Montréal et travaille au Parlement du Canada comme employé contractuel.

Il est détenteur d'une maîtrise en Science politique de l’Université de Montréal depuis novembre 2012 et d'un baccalauréat en Science politique de la même université depuis 2010.

Ses études l’ont mené à passer un trimestre en Chine et à effectuer un stage au Parlement du Canada pour le compte d’un député fédéral. Cette dernière expérience lui a permis d’obtenir un emploi comme adjoint parlementaire contractuel.

Il a également été membre des Forces canadiennes durant plus de six ans. Ses études universitaires se sont centrées autour de la politique québécoise, le nationalisme, la gouvernance et les affaires publiques.

Il détient également un DEC du Collège de Maisonneuve en Informatique de gestion.





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