Sait-on que le mot «Noël» n'est pas latino-chrétien mais plutôt arabo-musulman?

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011



Faut-il parler de débat, de nivellement des différences, d'aplat-ventrisme, de censure ou, moins menaçant, d'inoffensive et amusante joute intellectuelle? Les mots semblent de plus en plus faire peur. Nos parcours, à ne pas trop afficher. Nos différences et nuances, à estomper et mieux encore à oublier. Crèches anticonstitutionnelles (aux USA).
Mot Noël à reléguer à l'église (vous voyez que j'ai évité ce mot «temple» que dans nos journaux on emploie trop souvent et indifféremment pour église, mosquée, pagode, synagogue, etc.). Aujourd'hui dans Le Soleil, disparition de Saint-Vincent de Paul comme appellation d'une société vouée à la générosité et au partage. Bientôt, écrit un lecteur certainement à la blague, élimination du premier mot de l'appellation d'un quartier (Saint-Sacrement) de Québec. Ce qui pourra laisser croire aux générations suivantes qu'il fut baptisé, pardon, nommé, pour la glorification d'un sacre, pardon, d'un juron, bien populaire à une époque. Demain, croix du chemin ou de marin (j'en protège une devant «mon» fleuve à Grondines), à laisser pourrir et disparaître? Profanation, non. Iconoclastie, non plus. Pas chez nous, ce genre de choses, bien sûr. Insécurité historique et culturelle, négligence, ignorance, peut-être. Nuance, les croix à l'Assemblée nationale et à l'Hôtel de ville me mettent mal à l'aise.
Réflexions sémantiques
Nombrilisme et oeillères, même dans les milieux savants, sont souvent de mauvais guides. Un petit exemple vient de me sauter aux yeux. J'étudie l'arabe avec une certaine persévérance (10 000 heures, dans le respect de trois lois incontournables que j'extrais de la psychologie et de la neurologie), en particulier pour mieux connaître et établir des ponts avec le monde arabo-musulman. J'ai fait une découverte qui pourra aussi bien amuser les curieux qu'inviter au dialogue.
Les ouvrages consultés, grands, petits, historiques, encyclopédiques, disent tous la même chose. L'unanimité et le prestige des sources ne seraient pas toujours une garantie de la qualité. Le mot Noël n'aurait pas été mentionné en Europe avant le douzième siècle. Il aurait commencé à s'employer durant l'été, en Espagne (voisinage de plusieurs siècles avec la civilisation arabe), comme expression de salutation et de bons voeux. On écrit (on semble beaucoup se copier les uns les autres, jetez un coup d'oeil vous-même dans le premier dictionnaire) que le mot viendrait de l'évolution phonétique et modification vocalique de l'adjectif latin natalis (relatif à la naissance). Le «o» de Noël aurait résulté de la différentiation des deux phonèmes identiques «a» de natalis; le tréma se serait ajouté pour marquer la séparation vocale des voyelles «o» et «e». Et le pauvre «t», lui, comment et quand serait-il disparu? Silence. Curieux effort explicatif. Et aussi quel jargon pour cacher l'ignorance ou défendre sa thèse. D'autant plus suspect que complexe et incomplet. Autre raison de douter de la neutralité de l'intention, pourquoi a-t-on tellement tenu à faire remonter le substantif Noël au qualificatif natalis plutôt que, plus naturellement, au substantif nativitas (naissance)? N'aurait-on pas craint alors d'être obligé d'abandonner une origine chrétienne à laquelle on pouvait avoir de bonnes raisons de tenir? Objectif plaisant, certainement, mais contorsion mentale trop tortueuse pour être convaincante.
Des origines arabes
Je propose une explication infiniment plus simple, plus ancienne, plus sûre. On sait qu'en arabe, orthographe et vocalisation ont été fixées, pour ne plus changer, dès le début de l'Islam, au septième siècle. Par contre, les langues européennes, issues de sources variées, dont naturellement le latin et le grec, mais aussi de nombreuses langues plus anciennes et obscures, n'ont cessé d'évoluer. Ce qui fait qu'il est difficile de retracer l'origine d'un mot et de son sens. Pensons seulement à la fixation relativement récente des orthographes [...] ainsi qu'à ces tendances encore plus récentes de simplification qui rendront plus difficile que jamais la filiation des mots. En arabe, de telles difficultés n'existent pas.
Que dit cette langue du mot «Noël»? Aujourd'hui, pour parler de la fête chrétienne, les arabo-musulmans disent simplement «aïd almiilaad» c'est-à-dire fête de la naissance. C'est plutôt autour de la sonorité du mot qu'il faut orienter son attention. Tout dictionnaire un peu élaboré (Assabil, par exemple, n'est pas le moins utile) expose avec grande précision le sens et les modulations syllabiques de la racine trilitère (excusez-moi, je commence à faire savant) «n-oua-l». Je fais grâce des caractères arabes parmi lesquels le «oua» est représenté par une seule lettre. Voici, solidement ancré sur cette racine «éternelle» à trois lettres, une liste de quelques mots arabes et leur signification:
na-ou-la: donner, gratifier, offrir
na-ou-l: don, faveur, bienfait
nou-oua-la: cabane, hutte (gentil clin d'oeil à la crèche de François d'Assise)
naa-oua-la: présenter, tendre, offrir
On trouve associées à ces mots des variantes (par ajout des préfixes «ma» et «ta» ainsi que des modulations «i» ou «a» de la semi-voyelle «ou»), comme dans:
ma-na-a-l: obtention
ta-naa-oua-la: recevoir, prendre, comme dans prendre à manger
On peut mentionner aussi des noms propres révélateurs:
ni-ii-l: avantage, profit, Nil (un pays ne s'en considère-t-il pas être le don?)
na-oua-l: prénom féminin Naoual signifiant don, faveur
Il n'est pas nécessaire de s'étendre longuement sur le voisinage méditerranéen permanent ni sur la longue domination culturelle et scientifique du monde arabe sur le monde européen pour imaginer un transfert du mot et de sa signification.
Joyeux Noël donc aux chrétiens comme aux musulmans (et à l'ensemble du monde qui a largement adopté l'expression et sa période de réjouissance) et par la même occasion, heureux Aïd El Kabir (fête la plus importante pour nos amis et voisins, célébrée cette semaine)!
***
Hubert Laforge, Ancien recteur de l'Université du Québec à Chicoutimi


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