Lors de ma première chronique sur Vigile, il y a un bon moment, je soulignais que la représentation faite du mouvement souverainiste par les fédéralistes ressemblait à celle que l’on trouve dans plusieurs jeux vidéos. Le bon camp est impliqué dans un combat purificateur. Il doit remporter une victoire sur ceux qui prônent la division, la détestation, le sectarisme, l’opposition féroce à l’autre.
Si le souverainisme tient au désir gratuit de détester, il y a de quoi le marquer d’un signe infamant. Au cours des quarante dernières années, les grands événements fratricides sur le globe furent tous portés à un moment ou l’autre au débit des souverainistes québécois... Le nazisme, les camps de la mort en Yougoslavie, la dictature en Roumanie furent autant d’exemples appelés à illustrer le phénomène souverainiste.
On aime à penser que le souverainisme québécois participe d’une infection. Ce serait un vitalisme sectaire défendant une race et voulant s’emparer d’un Etat pour diriger une mission impériale. Cette mission menacerait le protection des minorités et les droits civiques dont l’Etat canadien est le serviteur légitime.
Ce credo est tellement archétypique que la complaisance de l’opinion à son égard a de quoi surprendre. On devrait voir à présent comment on s’est attelé à penser le souverainisme québécois et donc, ce qu’on veut absolument en penser. Pourquoi le fait que le Québec cesse d’être une province de la nation canadienne constitue-t-il de facto un retournement des valeurs de justice et de liberté ?
On sait très bien que ladite réflexion du Canada anglais reprise en écho par certaines figures comme Desmarais et Sarkozy n’a pas pour but de convenablement penser le phénomène québécois. Si les thèmes de « détestation », « opposition féroce à l’autre » sont des thèmes centraux de l’argumentaire entretenu au Canada depuis plus de quarante ans, c’est d’abord parce que le Canada doit justifier son refus du droit à l’autodétermination du Québec en convainquant le plus de monde possible que le souverainisme québécois est d’une essence différente, intrinsèquement condamnable.
Les propos de Sarkozy s’inscrivent mécaniquement dans le fil de ce répertoire. Gérald Larose a dit qu’une « chanson lui avait été sifflée ». Ni Desmarais ni Sarkozy ne récite un propos original sur le Québec. Le Canada est convaincu de représenter le bon camp car tous ses refus à l’endroit du Québec, selon lui, procèdent d’une aspiration égalitaire. Le Canada ne brime personne. Il veut juste que le Québec demeure une province égale aux autres et que la langue française ne soit pas plus que formellement égale à l’anglais.
Si le souverainisme tient au désir du repliement sur soi, c’est donc que les souverainistes militent pour tenir le peuple québécois en lisière et stigmatisé. Une réflexion digne de ce nom de la part de Sarkozy l’aurait convaincu de l’invraisemblance du postulat qu’il a emprunté aveuglément. Pourquoi des gens sensés voudraient-ils ça ?
Le répertoire est installé, réitéré et on fait comme si les souverainistes avaient à perpétuité la charge de la preuve. Prouvez-nous que vous n’êtes pas racistes, sectaires, féroces. Ce n’est pas un débat qui a lieu mais la récitation sourde, systématique d’un antagonisme dont tous les termes sont fixés d’avance.
Même la conclusion du propos de Sarkozy fut déjà répétée jusqu’à l’obsession par Trudeau notamment. Une identité forte n’a pas besoin de s’appuyer sur des circonstances ou des structures externes car son essence puissante fait qu’elle domine sans subir. C’est une vision essentialiste.
Selon cette théorie, la pure essence n’a pas à déterminer elle-même ses conditions d’existence car elle rayonne toute seule. Admettant ce postulat, un vrai savant n’a pas à dépendre de conditions d’apprentissage. Une intelligence vraiment forte n’a pas besoin de la compagnie des bouquins. Une santé vraiment forte se passera bien des cliniques médicales. Une mélodie inspirée saura se faire valoir sans l’aide des instruments de musique.
Les pièces du répertoire unitariste canadien furent réfutées bien avant que Sarkozy les reprenne mais il y a longtemps que les arguments en faveur du « Canada uni » logent au-delà de la réfutation. Ces arguments ont juste besoin de la connivence objective d’un horizon intellectuel suffisamment arrimé pour ne pas avoir à tester ses positions. Pourquoi réviser ses opinions si on n’a pas intérêt à le faire et si des têtes officielles ont intérêt à le partager ?
Cette vision canadienne, quoique simpliste, s’est étoffée grâce à l’apport du révisionnisme historique. Les amérindiens en sont venus à représenter l’ingénuité des origines. Et alors qu’une harmonie fut décisivement conquise avec l’aide du régime britannique, le souverainisme apparaît comme une boule de haine. Cette émergence viendrait du « ressentiment ».
Relisons le propos de Sarkozy ligne par ligne. N’est-ce pas l’histoire de la résurrection de la bête sur le lieu de la civilisation ? Il est fort injuste par ailleurs de comparer cette tirade de Sarkozy avec la vision du général de Gaulle. Comme l’étude des documents l’atteste, le général de Gaulle avait poursuivi un réflexion approfondie sur le Québec avant sa visite.
Il avait fort bien vu que le Canada, dans ses structures même, était porteur d’une négation par rapport à la nation francophone qu’il s’apprêtait à visiter. Et Charles de Gaulle savait fort bien que la foule du Québec voyait en lui beaucoup plus qu’un président français dans l’exercice de ses fonctions. Charles de Gaulle était une figure du monde libre, le héros de la résistance, le refondateur de la république, et un homme de lettres.
Il n’y a pas de commune mesure entre le fruit de la réflexion d’un homme qui était pour les Québécois un libérateur de peuple et Sarkozy. Il n’y a pas de commune mesure entre la sagacité de Charles de Gaulle et Sarkozy qui traite du souverainisme québécois comme de l’archaïsme du mal qui attendrait son heure.
Mais enfin, la règle est simple : si une ritournelle tourne sans arrêt et que de nouveaux chameaux sont là pour répéter que le Canada est la patrie des francophones depuis des siècles, tout va bien. Seul un esprit malin pourrait empêcher la réussite de leur intégration comme bon citoyen canadien. Arrivera bien un moment où chacun entonnera le beau grand air de l’opéra canadien.
Le problème, entre-temps, c’est qu’on est loin du « débat exemplaire » dont parlait Charest. Dire que l’on entretient le sectarisme et la détestation constitue des accusations graves. Ce discours engloutit les souverainistes dans le brouillard du crime. Elle est bien mince la pellicule de pensée qui alimente la rhétorique fédéraliste sur l’avenir politique du Québec, aussi mince que l’opinion de Sarkozy.
Sarkozy a l’excuse de parler à travers son chapeau et d’être reconnu comme tel. Il est plus grave de penser que cette lourde symbolique faisant des souverainistes des sectaires haineux dresse une table stratégique. Ce répertoire monte la tête de ceux qui veulent croire que les victoires de l’appareil d’Etat canadien sont nécessairement des victoires du bon droit sur la barbarie.
André Savard
Sarko: un chameau chante l'opéra canadien
Pourquoi le fait que le Québec cesse d’être une province de la nation canadienne constitue-t-il de facto un retournement des valeurs de justice et de liberté ?
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé