Il y a deux manières de comprendre les résultats de l’élection partielle dans Richelieu. D’abord, on peut se dire que le PQ l’a emporté. Ce qui est formellement vrai. Richelieu était un comté péquiste et il le demeure. On peut aussi dire qu’il a failli perdre, que la CAQ est passée à deux doigts de l’emporter. Ce qui est tout aussi juste et autrement plus inquiétant pour lui. La Montérégie est une vieille terre nationaliste, la tradition indépendantiste y est profonde et vivante. On constate aujourd’hui que le nationalisme québécois est cassé en deux, qu’il ne se reporte plus directement vers le PQ, et que la CAQ est tout sauf hors-jeu et qu’elle demeure un acteur majeur du jeu politique. Elle parle ce soir d’une victoire morale. Elle n’a pas tort. D’une élection à l’autre, le PQ perd des points dans Richelieu.
Rien de surprenant, dira-t-on peut-être. Le résultat électoral confirme simplement une tendance repérée lors des deux dernières semaines de l’élection d’avril 2014, quand on a vu le vote péquiste glisser vers la CAQ. On a dit à ce moment que si l’élection s’était tenue une semaine plus tard, le PQ se serait retrouvé en troisième place. C’était vrai. En gros, la tendance révélée lors de l’élection s’est confirmée. Les commentateurs qui ont le nez collé sur l’actualité ont cru expliquer cela parlant surtout de la campagne exécrable du PQ. Et de fait, elle l’était. Mais en ayant en tête une vision d’ensemble de la politique québécoise depuis plus de dix ans, on peut voir aussi que le Parti Québécois, peu à peu, régresse et risque à peu près à chaque élection d’être remplacé par une alternative nationaliste. L’histoire politique nous aide à méditer sur le présent politique.
Rappelons-nous 2002 et 2003 quand l’ADQ avait atteint les 40% dans les sondages préélectoraux, avant de s’effondrer tellement elle n’était pas préparée politiquement pour devenir le grand véhicule d’un redressement québécois. Une chose se révélait alors : la disponibilité des Québécois pour un nouvel espace politique ne se définissant plus par la polarisation souverainistes-fédéralistes. Cette tendance fut confirmée en 2007 quand le PQ s’est fait encore une fois déclasser par l’ADQ, cette fois autour du thème des accommodements raisonnables. Puis encore une fois en 2010, quand la CAQ est apparue dans les sondages, le PQ a vu son existence compromise. Le PQ s’est chaque fois redressé, les circonstances lui donnant chaque fois un coup de pouce appréciable. Mais le fait est que ses assises semblent de plus en plus fragiles. Le nationalisme de centre-droit non-souverainiste représenté par la CAQ pourrait bien devenir une option dominante chez les électeurs nationalistes plus tôt que tard.
En gros, la souveraineté intéresse de moins en moins les Québécois. On s’en doutera, la chose est terrible pour un souverainiste absolument convaincu des vertus de l’indépendance. Mais il serait sot de la nier. Et on ne saurait se contenter de dire qu’une meilleure communication souverainiste pourra d’un coup convertir à la cause nationale des Québécois qui s’habituent à une société ne s’interrogeant plus sur son cadre politique. Plus largement, c’est la question nationale qui se disloque, qui se décompose. Les Québécois veulent évidemment que leurs politiciens défendent leurs intérêts, et se savent différents des Canadiens, mais sentent de moins en moins que la question nationale est existentielle. Chez les jeunes, la désaffection est encore pire. La conscience nationale ne leur a pas été transmise en profondeur. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne se réveillera jamais.
Le PQ parle aux péquistes. Qu’on ne se trompe pas. Il y en a encore beaucoup. Du moins, il y en a assez pour élire un gouvernement minoritaire en situation de crise sociale. Mais les péquistes ne se multiplient plus. La grande question qui les obsède indiffère de plus en plus les Québécois. Les Québécois digèrent peu à peu la défaite de l’indépendance et passent à une nouvelle étape de leur histoire, en s’imaginant que rien de tout cela n’est très grave. Ils se trompent, naturellement, et ils finiront par le payer très cher, mais le fait est qu’ils sont de plus en plus nombreux à voir les choses ainsi. La position hégémonique du PQ dans le système politique était directement dépendante de l’importance que les Québécois accordaient à la question nationale. Si elle disparait du radar, le PQ disparait aussi. C'est ce qui est en train d'arriver.
Que peuvent faire les péquistes? Abandonner la souveraineté pour un autonomisme musclé? Certainement pas, et s’ils le faisaient, leur parti éclaterait. Assaisonner la souveraineté avec les enjeux du jour? Peut-être. Mais tout dépend aussi de ce qu’on entend par-là. Évidemment, l’indépendance doit s’ancrer dans son époque. Elle ne saurait non plus sacrifier ses fondements existentiels et identitaires: l’actualité confirme chaque jour que c’est à travers la question identitaire que la question nationale rejoint encore les Québécois. Reconstruire en profondeur la question nationale? Surement. Mais il faudrait pour cela une grande stratégie. Et un chef pour la porter. En ce moment, les péquistes jouent à la guerre civile et s’esquintent entre eux dans une course à la chefferie à bien des égards ésotérique. Mais cette grande stratégie est-elle encore possible? Est-il encore possible de réveiller le sens national des Québécois? Surtout, les péquistes ont-ils encore le temps? La démographie joue contre la cause souverainiste. Il n’y a pas, en la matière, de réponse idéale. La politique a une part tragique. En ce moment, les souverainistes en font l’expérience.
La fracture du nationalisme en deux camps est lourde de conséquence. Faut-il le dire, en se divisant en deux partis, les nationalistes québécois pavent le chemin à une réélection d’un Parti libéral plus canadien que jamais lors des prochaines élections. Cette fois, le PLQ n’en a pas profité. Aux prochaines élections, cela pourrait le reconduire au pouvoir. Au lendemain de la déconfiture d’avril 2014, chez les souverainistes, plusieurs spéculaient à voix basse, et d’autres à voix haute, sur une possible coalition du PQ et de la CAQ en 2018, autour d’un programme commun antilibéral. Évidemment, la chose ne se produira jamais. Un parti finira par s’imposer à l’autre, qui deviendra vraiment un tiers-parti. Le résultat de Richelieu nous confirme qu’on ne sait pas encore quels rôles le PQ et la CAQ joueront dans cette nouvelle carte politique. Il ne devrait pas être interdit, pourtant, de redécouvrir les points de convergence possible pour rassembler les nationalistes québécois.
Que retenir finalement de cette élection? D’abord et avant tout, que le monopole du PQ sur le nationalisme n’est plus qu’un souvenir. Et quoi qu’en pensent les indépendantistes orthodoxes, la CAQ passe clairement pour un parti du Québec d’abord. Ensuite, que l’électorat francophone qui largue le PQ est moins tenté par Québec solidaire que par la CAQ – autrement dit, que le PQ perd ses votes non pas à gauche mais à droite et que ce n’est pas en multipliant les simagrées «progressistes» qu’il les récupérera. Enfin, que les souverainistes ont beau croire à leur cause, ils ne semblent plus capables de convaincre les Québécois de l’importance de leurs préoccupations. Ils doivent connecter avec ceux qui ne les écoutent plus. Ils doivent aussi cesser de faire des phrases creuses sur la souveraineté, dans un langage qu’ils sont seuls à comprendre, s’ils veulent convaincre les Québécois que ce combat n’est pas seulement une lutte nostalgique, mais bien une nécessité vitale. Surtout, la souveraineté a désormais l’air d’une cause de perdants. Elle devra redevenir conquérante pour entrainer les électeurs. Cela ne se fera pas simplement par magie.
Si le PQ entend renaître vraiment et cesser de régresser d’une élection à l’autre, il aura besoin d’un grand coup de barre et non pas d’ajustements cosmétiques. On verra en mai à qui les péquistes confieront la responsabilité de le donner.
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